Vérité

1936 - Au-delà du principe de réalité - 79 - Nous ne jouons pas au paradoxe de dénier que la science n'ait pas à connaître de la vérité. Mais n'oublions pas que la vérité est une valeur qui répond à l'incertitude dont l'expérience vécue de l'homme est phénoménologiquement marquée - la vérité dans sa valeur spécifique reste étrangère à l'ordre de la science. - peut-on dire que le savant se demande si l'arc-en-ciel, par exemple, est vrai ? seulement lui importe que ce phénomène soit communicable en quelque langage (condition de l'ordre mental ), enregistrable sous quelque forme (condition de l'ordre expérimental ) et qu'il parvienne à l'insérer dans la chaîne des identifications symboliques où sa science unifie le divers de son objet propre (condition de l'ordre rationnel ).

1950 - Intervention au 1er congrès mondial de psychiatrie - nous ne pouvons pas (...) cesser de la soutenir [la notion de vérité] dans sa vigueur socratique : cad oublier que la vérité est un mouvement du discours, qui peut valablement éclairer la confusion d'un passé qu'elle élève à la dignité de l'histoire, sans en épuiser l'impensable réalité. - La vérité qui fera son salut [de l'analysant], il n'est pas en votre pouvoir de la lui donner, car elle n'est nulle part, ni dans sa profondeur, ni dans quelque besace, ni devant lui, ni devant vous. Elle est, quand il la réalise, et si vous êtes là pour lui répondre quand elle arrive, vous ne pouvez la forcer en prenant la parole en sa place.

1953 - Fonction et champ de la parole… - 136 - [discours] L'inconscient est ce chapitre de mon histoire qui est marqué par un blanc ou occupé par un mensonge : c'est le chapitre censuré. Mais la vérité peut être retrouvée ; le plus souvent déjà elle est inscrite ailleurs. A savoir : - dans les monuments : et ceci est mon corps (...) où le symptôme hystérique montre la structure d'un langage et se déchiffre comme une inscription qui, une fois recueillie, peut sans perte grave être détruite ; - dans les documents d'archives aussi : et ce sont les souvenirs de mon enfance (...) ; - dans l'évolution sémantique : et ceci répond au stock et aux acceptions du vocabulaire qui m'est particulier (...) ; - dans les traditions aussi (...) qui sous une forme héroïsée, véhiculent mon histoire ; - dans les traces, enfin, qu'en conservent inévitablement les distorsions, nécessitées par le raccord du chapitre adultéré dans les chapitres qui l'encadrent - 133 - Soyons catégorique, il ne s'agit pas dans l'anamnèse psychanalytique de réalité, mais de vérité, parce que c'est l'effet d'une parole pleine de réordonner les contingences passées en leur donnant le sens des nécessités à venir, telles que les constitue le peu de liberté par où le sujet les fait présentes. - 142 - Le sujet va bien au-delà de ce que l'individu éprouve "subjectivement", aussi loin exactement que la vérité qu'il peut atteindre -

1953/54 - Les écrits techniques de Freud - [parole] Le moment où le sujet s'interrompt, c'est (...) le moment le plus significatif de son approche vers la vérité. - 126 - La parole pleine est celle qui vise, qui forme la vérité telle qu'elle s'établit dans la reconnaissance de l'un par l'autre. La parole pleine est parole qui fait acte. Un des sujets se trouve, après, autre qu'il n'était avant. - [Le paradoxe c'est qu'apparemment la méthode psychanalytique] parte par une voie strictement opposée, pour autant qu'elle donne comme consigne au sujet de délinéer une parole aussi dénouée que possible de toute supposition de responsabilité, et qu'elle le libère même de toute exigence d'authenticité. Elle lui enjoint de dire tout ce qui lui passe par la tête. -289 - Toute parole formulée comme telle introduit dans le monde le nouveau de l'émergence du sens. Ce n'est pas qu'elle s'affirme comme vérité, mais plutôt qu'elle introduit dans le réel la dimension de la vérité. - l'erreur est l'incarnation habituelle de la vérité - 290 - [En règle générale] l'Erreur se démontre telle en ce que, à un moment donné, elle aboutit à une contradiction. - 291 - Le propre du champ psychanalytique est de supposer en effet que le discours du sujet se développe normalement (...) dans l'ordre de l'erreur, de la méconnaissance, voire de la dénégation - ce n'est pas tout à fait le mensonge, c'est entre l'erreur et le mensonge. - Mais - voici le nouveau - pendant l'analyse, dans ce discours qui se développe dans le registre de l'erreur, quelque chose arrive par où la vérité fait irruption, et ce n'est pas la contradiction. - 292 - Nos actes manqués sont des actes qui réussissent, nos paroles qui achoppent sont des paroles qui avouent. - la vérité rattrape l'erreur au collet dans la méprise. - [Le sujet] C'est qu'il en dit toujours plus qu'il ne veut en dire, toujours plus qu'il ne sais en dire. - 293 - [Objection possible :] Pourquoi le discours, que vous décelez derrière le discours de la méprise ne tombe-t-il pas sous la même objection que celui-ci ? Si c'est un discours comme l'autre, pourquoi n'est-il pas, lui aussi, également plongé dans l'erreur ? / Toute conception de style jungien, (...) qui fait de l'ics, sous le nom d'archétype, [mais aussi l'ics de type philosophique] le lieu réel d'un autre discours, tombe en effet, d'une façon catégorique, sous cette objection. [Justement, ce n'est pas un autre discours, mais une parole.] - 294 - une parole émerge qui dépasse le sujet discourant. - Car, observez-le bien, chaque fois qu'il y a refoulement (...) il y a toujours interruption du discours. Le sujet dit que le mot lui manque.

1954/55 - Le moi dans la théorie de Freud... - 25 - Ce qui est scandaleux chez La Rochefoucaul, ce n'est pas que l'amour-propre soit pour lui au fondement de tous les comportements humains, c'est qu'il est trompeur, inauthentique. - tradition des moralistes. Ce ne sont pas des gens qui se spécialisent dans la morale, mais qui introduisent une dimension dite de vérité dans l'observation des comportements moraux et des mœurs. - [et cela jusqu'à Nietzsche] [attitude] selon laquelle le comportement humain est comme tel leurré. C'est dans ce creux, dans ce bol, que vient se déverser la vérité freudienne.

1955 - La Chose freudienne - 405 - la découverte de Freud met en question la vérité [psychanalyse] 1955 - La Chose freudienne - 409 - [parole] [Prosopopée de la vérité:] Mais pour que vous me trouviez où je suis, je vais vous apprendre à quel signe me reconnaître. Hommes, écoutez, je vous en donne le secret. Moi, la vérité, je parle. - Le discours de l'erreur, son articulation en acte, pouvait [peut] témoigner de la vérité contre l'évidence elle-même. - 410 - je vagabonde dans ce que vous tenez pour être le moins vrai par essence : dans le rêve, dans le défi au sens de la pointe la plus gongorique et le nonsense du calembour le plus grotesque, dans le hasard, et non pas dans sa loi, mais dans sa contingence - Le commerce au long cours de la vérité ne passe plus par la pensée : chose étrange, il semble que ce soit désormais par les choses : rébus , c'est par vous que je communique - 413 - ça parle, et là sans doute où l'on s'y attendait le moins, là où ça souffre. - La vérité a dit : "Je parle". Pour que nous reconnaissions ce "je" à ce qu'il parle, peut-être n'était-ce pas sur le "je" qu'il fallait nous jeter, mais aux arêtes du parler que nous devions nous arrêter. "Il n'est de de parole que de langage" nous rappelle que le langage est un ordre que des lois constituent, desquelles nous pourrions apprendre au moins ce qu'elles excluent. Par exemple que la langage, c'est différent de l'expression naturelle et que ce n'est pas non plus un code ; que ça ne se confond pas avec l'information -

1955 - Variantes de la cure-type - 351 - La parole apparaît donc d'autant plus vraiment une parole que sa vérité est moins fondée dans ce qu'on appelle l'adéquation à la chose : la vraie parole s'oppose ainsi paradoxalement au discours vrai, leur vérité se distinguant par ceci que la première constitue la reconnaissance par les sujets de leurs êtres en ce qu'il y sont intéressés, tandis que la seconde est constituée par la connaissance du réel, en tant qu'il est visé par le sujet dans les objets. Mais chacune des vérités ici distinguées s'altère à croiser l'autre dans sa voie. - 352 - Comment (...) le discours intermédiaire, celui où le sujet, dans son dessein de se faire reconnaître, adresse la parole à l'autre en tenant compte de ce qu'il sait de son être comme donné, ne serait-il pas contraint aux cheminements de la ruse ?

1955/56 - Les psychoses - 244 - la vérité entre de façon vivante dans la vie - par l'intermédiaire de la signification dernière de l'idée du père. - par le biais de ce drame an-historique (...) - le meurtre du père.

1956/66 - Le séminaire sur "La Lettre volée" - 20 - [le registre de la vérité] se situe tout à fait ailleurs [que le champ de l'exactitude], soit proprement à la fondation de l'intersubjectivité. Il se situe là où le sujet ne peut rien saisir sinon la subjectivité même qui constitue un Autre en absolu.

1957 - L'instance de la lettre dans l'inconscient - 521 - [refoulement] C'est qu'à cette vérité nouvelle [la psychanalyse], on ne peut se contenter de faire sa place, car c'est de prendre notre place en elle qu'il s'agit. Elle exige qu'on se dérange. On ne saurait y parvenir à s'y habituer seulement. On s'habituer au réel. La vérité, on la refoule.

1960 - Subversion du sujet et dialectique du désir - 797 - la vérité est en résorption constante dans ce qu'elle a de perturbant, n'étant en elle-même que ce qui manque à la réalisation du savoir. - 798 - La vérité n'est rien d'autre que ce dont le savoir ne peut apprendre qu'il le sait qu'à faire agir son ignorance.

1960-61 - Le Transfert - 16 - Socrate ainsi mis à l'origine (...) du plus long transfert (...) qu'ait connu l'histoire. - Socrate prétend ne rien savoir, sinon savoir reconnaître ce que c'est que l'amour. - là où il les rencontre, où est l'amant et où est l'aimé. - 17 - Ce serait un curieux dénominateur commun de Freud et Socrate, Socrate dont vous savez que lui aussi avait affaire à la maison à une ménagère pas commode. - C'est de Socrate que procède cette idée nouvelle et essentielle, qu'il faut d'abord garantir le savoir. - c'est que le discours engendre la dimension de la vérité. - Quand Socrate dit que c'est la vérité, et non pas lui-même, qui réfute son interlocuteur - il ramène la vérité au discours [et non moins le discours à la vérité - mais non pas à l'"homme", comme Protagoras]. - Nul tragique, nul sentiment tragique (...) ne soutient l'atopia de Socrate.

1961/62 - L'identification - 29/11/61 - c'est sur lui [trait unaire] que se concentre pour nous la fonction d'indiquer la place où est suspendue dans le signifiant (...) la question de sa garantie, de sa fonction, de ce à quoi ça sert, ce signifiant, dans l'avènement de la vérité. -

1964 - Les quatre concepts… - 127 - Il est tout à fait faux de répondre à ce je mens qui si tu dis je mens, c'est que tu dis la vérité, et donc tu ne mens pas, ainsi de suite. - En effet, le je qui énonce, le je de l'énonciation, n'est pas le même que le je de l'énoncé -Dès lors, du point où je l'énonce, il m'est parfaitement possible de formuler de façon valable que le je - le je qui, à ce moment là, formule l'énoncé - est en train de mentir - 128 - le mens [de l'énoncé] est un signifiant, faisant partie, dans l'Autre, du trésor du vocabulaire où le je, déterminé rétroactivement, devient signification engendrée au niveau de l'énoncé, de ce qu'il produit au niveau de l'énonciation - c'est un je te trompe qui en résulte. [Voir schéma] Le je te trompe provient du point d'où l'analyste attend le sujet, et lui renvoie (...) son propre message dans sa signification véritable, cad sous une forme inversée. Il lui dit - dans ce je te trompe, ce que tu envoie comme message, c'est ce que moi je t'exprime, et ce faisant, tu dis la vérité. - Dans le chemin de tromperie où le sujet s'aventure, l'analyste est en posture de formuler ce tu dis la vérité, et notre interprétation n'a jamais de sens que dans cette dimension. - Reportons sur ce schéma le je pense cartésien. - Disons que c'est de prendre sa place au niveau de l'énonciation qui donne sa certitude au COGITO. Mais le statut du je pense est aussi réduit, aussi minimal, aussi ponctuel (...) que celui du je mens de tout à l'heure.