Délire

1932 - Thèse - 59 - [Kraepelin] met en relief la "tonalité fortement affective" des expériences vitales dans le délire - 60 - Ce qui distingue au reste la réaction du paranoïde de celles de tant d'autres psychopathes atteints de la même insuffisance, c'est sa "résistance", c'est "son combat passionné contre les rigueurs de la vie, où il reconnaît des influences hostiles" [le délire "tient le coup", en somme - de même que le névrosé "y tient", à son symptôme...] - On voit, conclut Kraepelin, "que le délire forme ici une partie constituée de la personnalité". - [paranoïa] - 273 - Le persécuteur principal est toujours de même sexe que le sujet - Pour les idées érotomaniaques, elles ont toujours le caractère de platonisme - 274 - Notons la réactivité du délire aux influences endogènes [et aux influences extérieures] - 274 - Le danger qu'imposent à autrui les virtualités réactionnelles de ces sujets est inversement proportionnel au paradoxe de leur délire. En d'autres termes, plus les conceptions du sujet se rapprochent de la normale, plus il est dangereux. - 291 - pour Kraepelin, "l'ordre logique est conservé dans les pensées, les actes et le vouloir". Ces affirmations répondent assurément [et seulement] au caractère clinique, par lequel les délires paranoïaques sont des délires compréhensibles . [? des délires paraphréniques] - [or] la perception, tout d'abord, n'apparaît plus être exacte [mécanismes oniroïdes, psychasthénie] - 293 - [certes les délires ont un sens , une "clarté significative ", dit Lacan, parfaitement congruente, mais] Qu'y deviennent les principes logiques fondamentaux de la contradiction, de la localisation spatiale et temporelle, de la causalité? - [sens du délire:] On peut dire que, contrairement aux rêves, qui doivent êtres interprétés , le délire est par lui-même une activité interprétative [interprétation] de l'inconscient. - Qu'on interroge cependant le malade sur les origines historiques de ses convictions délirantes, alors apparaîtra le second trait caractéristique du délire, à savoir son imprécision logique . - Nous avons parlé d'amnésie élective - Il ne s'agit aucunement de troubles de la remémoration - Il s'agit en réalité d'un trouble de la croyance . - 294 - Pour que le malade adjoigne en effet à l'image évoquée par les associations délirantes le coefficient de croyance ["je nie que l'homme reste sans rien affirmer pour autant qu'il imagine", Spinoza, cité par Lacan en note] qui en fait une image intégrée à son passé [alors qu'elle n'y est pas], une image-souvenir , il faut qu'il ne s'embarrasse d'aucune référence à ce système cohérent (...) des principes de lieu, de temps, de cause et d'identité . En fait, l'image ne se présente ras à lui autrement que dans le cas idéal forgé par James, selon lequel "Tout objet (imaginatif) qui ne rencontre pas de contradiction devient ipso facto un objet de croyance et est posé comme une réalité absolue." Ce que nous trouvons dans la genèse du délire, c'est donc une déficience du principe de CONTRADICTION, pris dans son sens le plus général [c'est-à-dire le LANGAGE] - 295 - il exprime clairement des tendances psychiques dont seule l'expression logique normale est refoulée. - 297 - [structure conceptuelle propre au système du délire: 1) clarté significative, 2) Imprécision logique, 3) Valeur de réalité d'un complexe ou d'un conflit, ignoré par le sujet, 4) organisation de ces conceptions par un principe prélogique d'identification itérative (thème du double, de l'éternel retour, etc.) - 299 - On peut dire que le délire lui-même n'est que l'épiphénomène d'une telle conduite [c'est-à-dire les impulsions, pulsions, comportements spécifiques de la psychose ; Lacan dira plus tard qu'il est une "tentative de guérison"] - 334 - le délire est l'équivalent intensionnel d'une pulsion agressive insuffisamment socialisée [donc son effet (économique) compensatoire]. La méconnaissance de cette notion de la tendance concrète [sous-jacente = la pulsion] (...) est ce qui tare les plus belles recherches sur les structures passionnelles anomaliques, comme sur tous les "mécanismes" délirants qu'on veut concevoir comme des objets en soi.

1933 - "Motifs du crime paranoïaque..." (Thèse) - 392 - La pulsion agressive, qui se résout dans le meurtre, apparaît (...) comme l'affection qui sert de base à la psychose. On peut la dire inconsciente, ce qui signifie que le contenu intensionnel qui la traduit dans la conscience ne peut se manifester sans un compromis avec les exigences sociales intégrées par le sujet, cad sans un camouflage de motifs, qui est précisément tout le délire. Mais cette pulsion est empreinte en elle-même de relativité sociale : elle a toujours l'intentionnalité d'un crime, presque constamment celle d'une vengeance, souvent le sens d'une punition, cad d'une sanction issue des idéaux sociaux, parfois enfin elle s'identifie à l'acte achevé de la moralité, elle a la portée d'une expiation (autopunition).- 393 - Le contenu intellectuel du délire nous apparaît (...) comme une superstructure à la fois justificative et négatrice de la pulsion criminelle [elle la diffère : délirer c'est différer un meurtre]. Nous le concevons donc comme soumis aux variations de cette pulsion, à la chute qui résulte par exemple de son assouvissement - Les défaut corrélatifs des descriptions et des explications classiques, ont longtemps fait méconnaître l'existence, pourtant capitale, de telles variations, en affirmant la stabilité des délires paranoïaques, alors qu'il n'y a que constance de structure [la psychose (structure) n'est pas le délire]

1933 - "Le problème du style..." (Thèse) - 386 - D'une part (...) le champ de la perception est empreint chez ces sujets [délirants] d'un caractère immanent et imminent de "signification personnelle" (symptôme dit "interprétation") et ce caractère est exclusif de cette neutralité affective de l'objet qu'exige au moins virtuellement la connaissance rationnelle. D'autre part, l'altération, notable chez eux, des intuitions spacio-temporelles modifie la portée de la conviction de réalité (illusions du souvenir, croyances délirantes).

1938 - Les complexes familiaux - 79 - phase féconde du délire : phase où les objets, transformés par une étrangeté ineffable, se révèlent comme chocs, énigmes, significations. - 80 -[le] narcissisme se traduit dans la forme de l'objet [en avant de l'acmée de la crise]. - l'objet reste [alors] irréductible à aucune équivalence et le prix de sa possession, sa vertu de préjudice prévaudront sur toute possibilité de compensation ou de compromis : c'est le délire de revendication. - Ou bien la forme de l'objet peut restée suspendue à l'acmée de la crise, (...) l'imago ne se subjective pas par identification au double, et l'idéal du moi se projette itérativement en objets d'exemples (...) : c'est le délire sensitif de relations. Enfin l'objet peut retrouver en deça de la crise la structure de narcissisme primaire où sa formation s'est arrêtée. - c'est le syndrome de la persécution interprétative, avec son objet à sens homosexuel latent. A un degré de plus, le moi archaïque manifeste sa désagrégation dans le sentiment d'être épié, deviné, dévoilé, sentiment fondamental de la psychose hallucinatoire - Enfin, c'est la structure foncièrement anthropomorphique et organomorphique de l'objet qui vient au jour dans la participation mégalomaniaque, où le sujet, dans la paraphrénie, incorpore à son moi le monde, affirmant qu'il inclut le Tout, que son corps se compose des matières les plus précieuses, que sa vie et ses fonctions soutiennent l'ordre et l'existence de l'Univers.

1951 - Quelques réflexions sur l'Ego - Ce que nous avons été capables d'observer dans cette voie privilégiée [du langage] par laquelle une personne s'exprime en tant qu'Ego : c'est précisément cela - Verneinung - le déni. / - lorsque quelqu'un dit "ce n'est pas ainsi" c'est parce que c'est ainsi ; et quand il dit "ce n'est pas cela que je veux dire", il dit vraiment. - la paranoïa ne peut être comprise qu'en de tels termes - les persécuteurs (...) identiques aux images du moi idéal

1953 - Discours du Congrès de Rome et réponse aux interventions -- C'est du message informulé qui constitue l'ics du sujet, cad du "je l'aime" que Freud y a génialement déchiffré, qu'il faut partir pour obtenir avec lui dans leur ordre les formes de délire où ce message se réfracte dans chaque cas. - "tu" es ici exclu, entraînant subversion de l'être du sujet, - la formule de réception du message par l'autre se dégradant en réversion imaginaire du moi. - c'est par la négation successive des trois termes du message [: 1. je 2. l' 3. aime , que Freud opère sa déduction]

1955/56 - Les psychoses - 43 - [Alors que normalement le signifiant renvoie toujours à un autre s., dans la cas du paranoïaque] C'est une signification qui ne renvoie foncièrement à rien qu'elle-même, qui reste irréductible. - qui renvoie à la s. en tant que telle. - Le malade souligne lui-même que le mot fait poids en lui-même - [Sur le plan du signifiant on distingue] deux types de phénomènes où se distingue le néologisme - l'intuition et la formule. / L'intuition délirante est un phénomène plein qui a pour le sujet un caractère comblant, inondant. - Là, le mot - avec sa pleine emphase, comme on dit le mot de l'énigme - est l'âme de la situation. / A l'opposé, il y a la forme que prend la s. quand elle ne renvoie plus à rien. C'est la formule qui se répète, qui se réitère, qui se serine avec une insistance stéréotypée. - 44 - C'est ce que nous pouvons appeler, à l'opposé du mot, la ritournelle.- 295 - [Dans le délire les plans du signifiant et du signifié restent à jamais séparés, comme sans rapport] D'une part, la scansion, qui joue sur les propriétés du signifiant (...) et qui va jusqu'à la contrainte - D'autre part le sens, qui, lui, a pour nature de se dérober (...) mais qui se pose en même temps comme un sens extrêmement plein dont la fuite aspire le sujet vers ce qui serait le cœur du phénomène délirant, son ombilic. - 52/53 - [ Je l'aime. ] - [négation] La première façon de nier cela, c'est de dire - ce n'est pas moi qui l'aime, c'est elle , ma conjointe, mon double - le sujet fait porter son message par un autre [l'alter ego] - qui dans l'intervalle a changé de sexe. - Dans le délire de JALOUSIE, on trouve au premier plan cette identification à l'autre avec interversion du signe de sexuation. - La seconde, c'est de dire - ce n'est pas lui que j'aime, c'est elle . - autre type d'aliénation, non plus inverti, mais diverti. L'autre auquel s'adresse l'érotomane [EROTOMANIE] (...) [est un objet très vague et très éloigné] si bien qu'on a pu parler de lien mystique ou d'amour platonique - Troisième possibilité - je ne l'aime pas, je le hais . - [comme pour le 2ème cas, l'inversion n'est pas suffisante, il faut aussi une projection] à savoir - il me hait - Et nous voilà dans le délire de PERSECUTION. - 54 - C'est une aliénation convertie, en ce sens que l'amour est devenu la haine. L'altération profonde de tout le système de l'autre, sa démultiplication, le caractère extensif des interprétations sur le monde, vous montre ici la perturbation proprement imaginaire portée à son maximum. 93 - J'entérine l'acting-out comme équivalent à un phénomène hallucinatoire du type délirant qui se produit quand vous symbolisez prématurément, quand vous abordez quelque chose dans l'ordre de la réalité et non à l'intérieur du registre symbolique. - 91 - [le délirant] Il est violé, manipulé, transformé, parlé de toutes les manières, et, je dirais, jacassé. [parole] - 101 - L'important est de voir en quoi cela répond à la demande, faite de biais d'intégrer ce qui a surgi dans le réel, et qui représente pour le sujet ce quelque chose de lui-même qu'il n'a jamais symbolisé. [Donc, le délire serait une tentative de symboliser ce qui ne l'a jamais été, et qui revient dans le réel, soit 1 réponse à l'hallucination ?] Une exigence de l'ordre symbolique, pour ne pouvoir être intégrée dans ce qui a déjà été mis en jeu dans le mouvement dialectique sur lequel a vécu le sujet, entraîne une désagrégation en chaîne, une soustraction de la trame dans la tapisserie, qui s'appelle un délire. - 165 - un ego n'est jamais tout seul. Il comporte toujours un étrange jumeau, le moi idéal - La phénoménologie la plus apparente de la psychose nous indique que ce moi parle. C'est une fantaisie, mais à la différence de la fantaisie, ou du fantasme, que nous mettons en évidence dans les phénomènes de la névrose, c'est une fantaisie qui parle, ou plus exactement, c'est une fantaisie parlée. - Avec l'impertinence qui (...) me caractérise, je l'ai désigné comme le discours de la liberté, essentiel à l'homme moderne en tant que structuré par une certaine conception de son autonomie. - Il n'y a donc pas d'ego sans ce jumeau, disons, gros de délire. Notre patient (...) se dit être un cadavre lépreux qui traîne après lui un autre cadavre lépreux. Belle image en effet pour le moi, car il y a dans le moi quelque chose de fondamentalement mort, et toujours doublé de ce jumeau, qui est le discours. - [Mais qui parle au juste ?] Est-ce l'autre dont je vous ai exposé la fonction de reflet dans la dialectique du narcissisme ? - 166 - [Limitons le terme de PROJECTION à ce] transitivisme imaginaire qui fait qu'au moment où l'enfant a battu son semblable, il dit sans mentir - Il m'a battu, parce que pour lui, c'est exactement la même chose. - la projection délirante n'a rien à voir avec ça. - 245 - [selon Freud les psychotiques] aiment leur délire comme ils s'aiment eux-mêmes . / Il y a là un écho [et un gouffre] (...) à ce qui est dit dans le commandement, aimez votre prochain comme vous-mêmes. - 247 - cet envahissement du signifiant [dans le délire] qui va à se vider du signifié à mesure qu'il occupe plus de place - même quand les phrases peuvent avoir un sens, on n'y rencontre jamais rien qui ressemble à une métaphore.

1957 - D'une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose - 561 - ce Dieu [de Schreber], démultiplié en effet en une hiérarchie de royaumes qui, à elle seule, vaudrait une étude, se dégrade en êtres chapardeurs d'identités désannexées. - 563 - le sujet [Schreber] en proie à ces mystères, ne doute pas, pour créé qu'il soit, ni de parer par ses paroles aux embûches d'une consternante niaiserie de son Seigneur, ni de se maintenir envers et contre la destruction, qu'il le croit capable de mettre en œuvre à son endroit comme à l'endroit de quiconque (...) - Voilà-t-il pas à la création continuée de Malebranche un étrange pendant, que ce créé récalcitrant, qui se maintient contre sa chute par le seul soutien de son verbe et par sa foi dans la parole. - 566 - [Quant à la signification du délire, elle est pour Schreber] d'expiation, de propitiation, et, [voire de] (...) sacrifice, alors qu'on l'accentue [d'ordinaire] dans le sens du compromis - 570 - C'est bien là une sorte de rédemption (...) mais qui ne vise que la créature à venir, car celle du présent est frappée d'une déchéance corrélative de la captation des rayons divins par la volupté qui les rive à Shreber