Sublimation

1959/60 - L'éthique de la psychanalyse - 111 - l'investissement freudien a fait rentrer en nous tout le monde, l'a remis définitivement à sa place, à savoir dans notre corps, et pas ailleurs. - L'on pourrait rêver d'un contact épidermique, complet, total entre le corps et un monde, lui même ouvert et frémissant - Eh bien, tout au contraire de cela, Freud, au niveau de ce que nous pouvons appeler la source des triebe , marque un point d'insertion, un point de limite, un point irréductible. - D'un autre côté, Freud nous montre l'ouverture, qui semble au premier abord presque sans limite, des substitutions qui peuvent être faites, à l'autre bout, au niveau du but. - 132 - Il s'agit dans la sublimation d'une certaine forme, nous dit Freud, de satisfaction des triebe - [D'un autre côté] La S nous est présentée comme distincte de cette économie de substitution où se satisfait d'habitude la pulsion en tant qu'elle est refoulée. Le symptôme, c'est le retour par voie de substitution signifiante de ce qui est au bout de la pulsion comme son but [mais alors que ce but, contrairement à la S, n'a pas été dévié, transformé ; il est simplement idéalisé, et, du coup, incarné] - Que peut bien vouloir dire ce changement de but ? Il s'agit bien du but, et non de l'objet, encore que (...) celui-ci vienne très vite en ligne de compte. - [disons que] l'idéalisation fait intervenir l'identification [névrotique?] du sujet à son objet, alors que la sublimation est tout autre chose. - 133 - Allons-nous nous contenter de dire (...) qu'en effet le but a changé, qu'il était sexuel avant et maintenant qu'il ne l'est plus ? - parler de réparation par rapport au corps de la mère [Klein] ? - La S. [en réalité] (...) révèle la nature propre du Trieb en tant qu'il n'est pas purement l'instinct, mais qu'il a rapport avec das Ding comme tel, avec la chose en tant qu'elle est distincte de l'objet. - Et la formule la plus générale que je vous donne de la sublimation est celle-ci - elle élève l'objet (...) à la dignité de la Chose. - 135 -[Exemple:] Dans l'analyse, l'objet est un point de fixation imaginaire donnant, sous quelque registre que ce soit, satisfaction à une pulsion. L'objet de COLLECTION est tout autre chose - 136 - Le caractère complètement gratuit, proliférant et superfétatoire, quasi absurde, de cette collection [Prévert collectionnait les boites d'allumettes vides] visait en fait sa choséité de boite d'allumettes -

- 117 - [chose] Entre l'objet tel qu'il est structuré [initialement] par la relation narcissique et das Ding , il y a une différence, et c'est justement dans la pente de cette différence que se situe pour nous le problème de la sublimation. - 118 - au niveau de la S, l'objet est inséparable d'élaborations IMAGINAIRES et très spécialement culturelles. Ce n'est pas que la collectivité les reconnaisse simplement comme des objets utiles - elle y trouve le champ de détente par où elle peut, en quelque sorte, se leurrer sur das Ding, coloniser avec ses formations imaginaires le champ de das Ding . - 119 - Dans des formes spécifiées historiquement, socialement, les éléments a , éléments imaginaires du fantasme, viennent à recouvrir, à leurrer le sujet au point même de das Ding .

- 127 - L'articulation kleinienne consiste en ceci - avoir mis à la place centrale de das Ding , le corps mythique de la mère. - Mais je vous dis tout de suite que la réduction de la notion de sublimation à un effort restitutif du sujet par rapport au fantasme lésé du corps maternel n'est assurément pas la solution la meilleure du problème de la sublimation - 128 - L'ensemble de ce qui se met sous la rubrique des Beaux-ARTS, cad un certain nombre d'exercices gymnastiques, dansatoires et autres, sont supposés pouvoir apporter au sujet des satisfactions, (...) un équilibre. - On laisse ainsi complètement de côté ceci, qui doit toujours être accentué concernant ce que l'on peut appeler une production artistique (...) à savoir la reconnaissance sociale. - 129 - Car c'est en fonction du problème éthique que cette sublimation, nous avons à la juger, en tant que créatrice de dites valeurs, socialement reconnues. - En présence de das Ding , pour autant que nous espérons qu'il fasse le poids du bon côté, opposé à cela, nous avons la formule kantienne du devoir. - Le poids de la raison.

- 144 - La notion de la création doit être maintenant promue par nous (...) parce qu'elle est centrale, non seulement dans (...) le motif de la sublimation, mais dans celui de l'éthique au sens le plus large. Je pose ceci, qu'un objet peut remplir cette fonction qui lui permet de ne pas éviter la Chose comme signifiant, mais de la représenter, en tant que cet objet est créé. - 146 - [le vase =] un objet fait pour représenter l'existence du vide au centre du réel qui s'appelle la Chose - le potier (...) crée le vase autour de ce vide avec sa main, (...) ex nihilo , à partir du trou. - il y a identité entre le façonnement du signifiant et l'introduction dans le réel d'une béance, d'un trou. - 147 - la science moderne, celle née de Galilée [et l'efficacité depuis de la saisie symbolique] n'avait pu se développer qu'à partir de l'idéologie biblique, judaïque - [de plus, avec la création] c'est bien ainsi qu'au cours des âges (...) est située l'articulation, la balance du problème moral [ETHIQUE]. - 150 - Il s'agit en effet de la Chose en tant qu'elle est définie par ceci qu'elle définit l'humain [homme "en fonction de médium entre le réel et le signifiant" p.155] - encore que justement, l'humain nous échappe. En ce point, ce que nous appelons l'humain ne serait pas défini autrement que de la façon dont j'ai défini tout à l'heure la Chose, à savoir ce qui du réel pâtit du signifiant. - Il s'agit du fait que l'homme façonne ce signifiant [par ex. le vase] et l'introduit dans le monde - autrement dit, de savoir ce qu'il fait en le façonnant à l'image de la Chose, alors que celle-ci se caractérise en ceci, qu'il nous est impossible de l'imaginer. C'est là que se situe le problème de la sublimation.

- 153 - L'amour courtois est en effet une forme exemplaire, un paradigme de sublimation. - 178 - L'objet, nommément ici l'objet féminin, s'introduit par la porte très singulière de la privation, de l'inaccessibilité. - 180 - Ce que la création de la poésie courtoise tend à faire, c'est à situer, à la place de la CHOSE [en cette époque plutôt rude que courtoise...] (...) un objet que l'appellerai affolant, un partenaire inhumain.[la Dame] - 182 - Ce qu'il s'agit de projeter comme tel, c'est une certaine transgression du désir. C'est ici qu'entre en jeu la fonction éthique de L'ÉROTISME. - [soit sur le plan sexuel les] techniques de la retenue, de la suspension, de l'amor interruptus . - Or le paradoxe de ce qu'on peut appeler l'effet de Vorlust , des plaisirs préliminaires, c'est justement qu'ils subsistent à l'encontre de la direction du principe de plaisir. C'est pour autant qu'est soutenu le plaisir de désirer, cad, en toute rigueur, le plaisir d'éprouver un déplaisir. - 184 - c'est aussi à la place de la Chose que Breton fait surgir l'amour fou.

- 155 - dans toute forme de sublimation, le vide sera déterminatif. - Tout ART se caractérise par un certain mode d'organisation autour de ce vide. - La RELIGION consiste dans tous les modes d'éviter ce vide (...) ; un mot comme respecter ce vide va peut-être plus loin. - Pour le troisième terme, à savoir le discours de la SCIENCE, en tant qu'il est originé pour notre tradition dans le discours de la sagesse, dans le discours de la PHILOSOPHIE, y prend sa pleine valeur le terme employé par Freud à propos de la paranoïa (...) - Unglauben . [rejet]

- 171 - [Freud] Formellement, il fait intervenir le recours à la puissance paternelle comme une sublimation. - Il souligne [malgré la contradiction apparente] (...) que cette sublimation surgit à une date historique, sur le fond de l'appréhension visible, sensible, que celle qui engendre, c'est la mère. Il y a, nous dit-il, un véritable progrès dans la spiritualité à affirmer la fonction du père, à savoir celui dont on n'est jamais sûr. - cette sublimation, nous ne pouvons la motiver historiquement, sinon par le mythe auquel il revient. - [cf. totem et tabou, la mort du père]

- 250 - La pulsion de mort est à situer dans le domaine historique, pour autant qu'elle s'articule à un niveau qui n'est définissable qu'en fonction de la chaîne signifiante, cad en tant qu'un repère, qui est un repère d'ordre, peut être situé par rapport au fonctionnement de la nature [et, comme dans le texte de Sade, conduisant à une éternisation de la mort naturelle:] Il faudrait, pour la mieux servir encore [la nature], pouvoir s'opposer à la régénération résultant du cadavre que nous enterrons. Le meurtre n'ôte que la première vie à l'individu que nous frappons ; il faudrait pouvoir lui arracher la seconde, pour être plus encore utile à la nature ; car c'est l'anéantissement qu'elle veut - 251 - La pulsion comme telle, et pour autant qu'elle est alors pulsion de destruction, doit être au-delà de la tendance au retour à l'inanimé. - Que peut-elle bien être ? - si ce n'est une volonté de destruction directe, si je puis dire - mise en cause de tout ce qui existe - Mais elle est également volonté de création à partir de rien, volonté de recommencement. - Comme dans Sade, la notion de la pulsion de mort est une sublimation créationniste, liée à cet élément structural qui fait que, dès lors que nous avons affaire à quoi que ce soit dans le monde qui se présente sous la forme de la chaîne signifiante, il y a quelque part, mais assurément hors du monde de la nature, l'au-delà de cette chaîne, l'ex-nihilo sur lequel elle se fonde et s'articule comme telle. - 252 - cela revient en fin de compte - et c'est ainsi que nous lisons l'Au-delà du principe du plaisir - à substituer à la Nature un sujet. - Je vous montre la nécessité d'un point de création ex-nihilo dont naît ce qui est historique [histoire] dans la pulsion [et qui fait l'évolutionnisme et Freud, cela fait deux]. Au commencement était le Verbe, ce qui veut dire le signifiant.

- 371 - Manger le livre [cf. st Paul], c'est bien là où nous touchons du doigt ce que veut dire Freud quand il parle de la sublimation comme d'un changement non d'objet, mais de but. - La faim dont il s'agit, la faim sublimée, tombe dans l'intervalle entre les deux, parce que ce n'est pas le livre que nous remplit l'estomac. Quand j'ai mangé le livre, je ne suis pas pour autant devenu livre, pas plus que le livre n'est devenu chair. Le livre me devient si je puis dire. Mais pour que cette opération puisse se produire (...) il faut bien que je paie quelque chose. - Sublimez tout ce que vous voudrez, il faut le payer avec quelque chose. Ce quelque chose s'appelle la jouissance. Cette opération mystique, je la paie avec une livre de chair. Voilà l'objet, le bien, que l'on paie pour la satisfaction du désir. - C'est là (...) que gît l'opération religieuse - Ce qui est sacrifié pour le bien du désir - (...) ce qui est perdu de désir pour le bien -, cette livre de chair, c'est justement ce que la religion se fait office et emploi de récupérer. C'est le seul trait commun à toutes les religions -

1961/62 - L'identification - 14/03.62 - que la visée de la jouissance subsiste et est en un certain sens réalisée dans toute activité de sublimation, qu'il n'y a pas de refoulement, qu'il n'y a pas effacement, qu'il n'y a même pas compromis avec la jouissance, qu'il y a paradoxe, qu'il y a détour, que c'est par les voies en apparence contraires à la jouissance que la jouissance est obtenue.