Chose

1959/60 - L'éthique de la psychanalyse - 55-58 - Sa référence étymologique juridique ["causa"] nous indique ce qui se présente pour nous comme l'enveloppe et la désignation du concret. -[En allemand] La Sache est la chose mise en question juridique, ou, dans notre vocabulaire, la passage à l'ordre symbolique, d'un conflit entre les hommes. - [Mais il y aussi Das Ding ] Freud parle de Sachvorstellungen [représentation] et non pas de Dingvorstellung . Aussi n'est-il pas vain que les Sachvorstellungen soient liées aux Wortvorstellungen, nous montrant par-là qu'il y a un rapport entre chose et mot. - La Sache est bien la chose, produit de l'industrie ou de l'action humaine en tant que gournernées par le langage. - les choses sont toujours à la surface, toujours à portée d'être explicitées. Pour autant qu'elle est sous-jacente, implicite à toute action humaine, l'activité dont les choses sont les fruits est de l'ordre du préconscient - Das Ding se situe ailleurs. - au niveau des Vorstellungen , la Chose, non pas n'est rien, mais littéralement n'est pas - elle se distingue comme absente, étrangère.

- 58 - Ce Das Ding , je voudrais vous le montrer aujourd'hui dans la vie, et dans ce principe de réalité que Freud fait entrer en jeu au départ de sa pensée, et jusqu'à son terme. - Ce qu'il y a dans Das Ding , c'est le secret véritable. - die Not des Lebens - Quelque chose qui veut. Le besoin et non pas les besoins. La pression, l'urgence. L'état de Not , c'est l'état d'urgence de la vie. - principe de réalité, qui est donc invoqué sous la forme de son incidence de nécessité - [Mais la vie d'"un" n'est pas "la" vie dans son ensemble, elle s'y oppose plutôt, et il est bien clair que, comme tel] le principe de la réalité fonctionne en fait comme isolant le sujet de la réalité. [Ambiguïté sur le mot "réalité", ici, que lèverait l'usage du mot "réel".] - quelque chose trie, tamise, de telle sorte que la réalité n'est aperçue par l'homme (...) que sous une forme profondément choisie. L'homme a affaire à des morceaux choisis de réalité. - C'est toute la question(...) de Das Ding .

 65 - Le Ding est l'élément qui est à l'origine isolé par le sujet (...) comme étant de sa nature étranger - Le complexe de l'objet est en deux parties - Tout ce qui, de l'objet, est qualité, peut être formulé comme attribut, rentre dans l'investisement du système [ics] et y constitue les Vorstellungen primitives autour desquelles se jouera le destin de ce qui est réglé selon les loins du Lust et del'Unlust , du plaisir et du déplaisir, dans ce qu'on peut appeler les entrées primitives du sujet. Das Ding est tout à fait autre chose. - [C'est] ce qui, du dedans du sujet, se trouve à l'origine porté dans un premier dehors - un dehors, nous dit Freud, qui n'a rien à faire avec cette réalité dans laquelle le sujet aura ensuite à repérer les Qualitätszeichen , qui lui indiquent qu'il est dans la bonne voie pour la recherche de sa satisfaction. C'est là quelque chose qui, avant l'épreuve de cette recherche, en pose le terme, le but et la visée. C'est cela que Freud nous désigne quand il nous dit que le but premier et le plus proche de l'épreuve de la réalité n'est pas de trouver dans la perception réelle un objet qui corresponde à ce que le sujet se représente sur le moment, mais c'est de le retrouver, de se témoigner qu'il est encore présent dans la réalité. - C'est de sa nature que l'objet est perdu comme tel. Il ne sera jamais retrouvé. Quelque chose est là en attendant mieux, ou en attendant pire, mais en attendant. Le monde freudien, cad de notre expérience, comporte que c'est cet objet, das Ding , en tant qu'Autre absolu du sujet, qu'il s'agit de retrouver. - Ce n'est pas lui que l'on retrouve, mais ses coordonnées de plaisir.

- 67 - Das Ding est originellement ce que nous appellerons le hors-signifié. C'est en fonction (...) d'un rapport pathétique à lui, que le sujet conserve sa distance, et se constitue dans un monde de rapport, d'affect primaire, antérieur à tout refoulement. - [dans le cas précis du refoulement] c'est par rapport à ce das Ding originel que se fait la première orientation, le premier choix (...) le choix de la névrose - [névrose] La conduite de l'hystérique (...) a pour but de recréer un état centré par l'objet, en tant que cet objet, das Ding , est (...) le support d'une aversion. C'est en tant que l'objet premier est objet d'insatisfaction - A l'opposé (...) dans la névrose obsessionnelle, l'objet par rapport à quoi s'organise l'expérience de fond, l'expérience de plaisir, est un objet qui, littéralement, apporte trop de plaisir. - Ce que, dans ses cheminements divers et dans tous ses ruisselets, indique et signifie le comportement de l'obsessionnel, c'est qu'il se règle toujours pour éviter ce que le sujet voit assez souvent clairement comme étant le but et la fin de son désir. La motivation de cet évitement est extraordinairement radicale, puisque le principe du plaisir nous est effectivement donné pour avoir un mode de fonctionnement qui est d'éviter l'excès, le trop d'excès [donc l'obs recherche bel et bien le plaisir!]

- 68 - la Chose ne se présente à nous que pour autant qu'elle fait mot, comme on dit faire mouche . Dans le texte de Freud, la façon dont l'étranger, l'hostile, apparaît dans la première expérience de la réalité pour le sujet humain, c'est le cri. Ce cri, dirai-je, nous n'en avons pas besoin. [cf. Rousseau]. - En allemand, das Wort est à la fois le mot et la parole. En français, - Mot , c'est essentiellement point de réponse [motus]. Mot , dit quelque part La Fontaine, c'est ce qui se tait, c'est justement ce à quoi aucun mot n'est prononcé. - Les choses dont il s'agit (...) sont les choses en tant que muettes. Et des choses muettes, ce n'est pas tout à fait la même chose que des choses qui n'ont aucun rapport avec les paroles.

82 - Freud désigne dans l'interdiction de l'inceste le principe de la loi primordiale (...) et en même temps, il identifie l'inceste au désir le plus fondamental. - Il est important qu'il y ait eu un homme qui, à un moment donné de l'histoire, se soit levé pour dire - C'est là le déir essentiel. - pourquoi le père n'épouse pas sa fille [là on connaît la réponse] - il faut que les filles soient échangées. Mais pourquoi le fils ne couche-t-il pas avec sa mère ? Là, quelque chose reste voilé. - 83 - Ce que nous trouvons dans la loi de l'inceste se situe comme tel au niveau du rapport ics avec das Ding , la Chose. Le désir pour la mère ne saurait être satisfait parce qu'il est la fin, le terme, l'abolition de tout le monde de la demande, qui est celui qui structure le plus profondément l'ics de l'homme [le langage]. - 84 - [les fameux 10 commandements] ne sont peut-être que les commandements de la parole, je veux dire qu'ils explicitent ce sans quoi il n'y a pas de parole - je n'ai pas dit de discours - possible. - dans ces dix commandements nulle part il n'est signalé qu'il ne faut pas coucher avec sa mère.- ne pourrions-nous (...) les interpréter comme quelque chose de fort proche de ce qui fonctionne effectivement dans le refoulement de l'ics ? Les dix commandements sont interprétables comme destinés à tenir le sujet à distance de toute réalisation de l'inceste, à une condition et à une seule, c'est que nous nous apercevions que l'interdiction de l'inceste n'est pas autre chose que la condition pour que subsiste la parole. - [parole et non discours. De même] que personne, je vous en prie, ne s'arrête à l'idée que les dix commandements seraient la condition de toute vie sociale. Car à la vérité comment, sous un autre angle, ne pas s'apercevoir (...) qu'ils sont en quelque sorte le catalogue et le chapitre de nos transactions de chaque instant ? Ils étalent la dimension de nos actions en tant que proprement humaines. En d'autres termes, nous passons notre temps à violer les dix commandements, et c'est bien pour cela qu'une société est possible. - 85 - Eh bien, le pas fait, au niveau du principe du plaisir, par Freud, est de nous montrer que qu'il n'y a pas de Souverain Bien - que le Souverain Bien, qui est das Ding , qui est la mère, l'objet de l'inceste, est un bien interdit, et qu'il n'y a pas d'autre bien. Tel est le fondement, renversé chez Freud, de la loi morale.

- 89 - Das Ding se présente au niveau de l'expérience ics comme ce qui déjà fait loi. - C'est une loi de caprice, d'arbitraire, d'oracle aussi, une loi de signes où le sujet n'est garanti par rien - Encore faut-il dire que das Ding n'est pas à ce niveau distingué comme mauvais. Le sujet n'a au mauvais objet pas la moindre approche, puisque déjà, par rapport au bon, il se tient à distance. Il ne peut pas supporter l'extrême du bien que peut lui apporter das Ding - 101 - Est-ce que la Loi est la Chose ? Que non pas. Toutefois je n'ai eu connaissance de la Chose que par la Loi. En effet je n'aurais pas eu l'idée de la convoiter si la Loi n'avait dit - Tu ne la convoiteras pas. - car sans la Loi la Chose est morte. Or, moi j'étais vivant jadis, sans la Loi. Mais quand le commandement est venu, la Chose a flambé, est venue à nouveau, alors que moi, j'ai trouvé la mort. Et pour moi, le commandement qui devait mener à la vie s'est trouvé mener à la mort, car la Chose trouvant l'occasion m'a séduit grâce au commandement, et par lui m'a fait désir de mort. - à une toute petite modification près - Chose à la place de péché -, ceci est le discours de Saint Paul concernant les rapports de la loi et du péché - Le rapport dialectique du désir et de la Loi fait notre désir ne flamber que dans un rapport à la Loi , par où il devient désir de mort. - l'éthique psy nous laisse-t-elle devant cette dialectique ? Nous avons à explorer ce qu'au cours des âges l'être humain a été capable d'élaborer qui transgresse cette Loi, le mette dans un rapport au désir qui franchisse ce lien d'interdiction, et introduise, au-dessus de la morale, une érotique.

- 117 - [chose] Entre l'objet tel qu'il est structuré [initialement] par la relation narcissique et das Ding , il y a une différence, et c'est justement dans la pente de cette différence que se situe pour nous le problème de la sublimation. - 118 - au niveau de la S, l'objet est inséparable d'élaborations imaginaires et très spécialement culturelles. Ce n'est pas que la collectivité les reconnaisse simplement comme des objets utiles - elle y trouve le champ de détente par où elle peut, en quelque sorte, se leurrer sur das Ding, coloniser avec ses formations imaginaires le champ de das Ding . - 119 - Dans des formes spécifiées historiquement, socialement, les éléments a , éléments imaginaires du fantasme, viennent à recouvrir, à leurrer le sujet au point même de das Ding

- 127 - L'articulation kleinienne consiste en ceci - avoir mis à la place centrale de das Ding , le corps mythique de la mère. - Mais je vous dis tout de suite que la réduction de la notion de sublimation à un effort restitutif du sujet par rapport au fantasme lésé du corps maternel n'est assurément pas la solution la meilleure du problème de la sublimation - 128 - L'ensemble de ce qui se met sous la rubrique des Beaux-ARTS, cad un certain nombre d'exercices gymnastiques, dansatoires et autres, sont supposés pouvoir apporter au sujet des satisfactions, (...) un équilibre. - On laisse ainsi complètement de côté ceci, qui doit toujours être accentué concernant ce que l'on peut appeler une production artistique (...) à savoir la reconnaissance sociale. - 129 - Car c'est en fonction du problème éthique que cette sublimation, nous avons à la juger, en tant que créatrice de dites valeurs, socialement reconnues. - En présence de das Ding , pour autant que nous espérons qu'il fasse le poids du bon côté, opposé à cela, nous avons la formule kantienne du devoir. - Le poids de la raison.

- 142 - Là où elle s'affirme, elle s'affirme dans des champs domestiqués. - elle se présente toujours comme unité voilée. - elle est (...) ce qui du réel (...) pâtit du signifiant. - [C'est bien en cela qu'elle se présente comme l'objet à retrouver.] - [1°] L'objet est de sa nature un objet retrouvé. Qu'il ait été perdu, en est la conséquence - mais après coup. - [2°] de sa nature, elle est, dans les retrouvailles de l'objet, représentée par autre chose. - L'Autre chose [cf. désir], c'est essentiellement la Chose. - [retrouvailles : Je ne cherche pas, je trouve. ]

- 144 - La notion de la création doit être maintenant promue par nous (...) parce qu'elle est centrale, non seulement dans (...) le motif de la sublimation, mais dans celui de l'éthique au sens le plus large. Je pose ceci, qu'un objet peut remplir cette fonction qui lui permet de ne pas éviter la Chose comme signifiant, mais de la représenter, en tant que cet objet est créé. - 146 - [le vase =] un objet fait pour représenter l'existence du vide au centre du réel qui s'appelle la Chose - le potier (...) crée le vase autour de ce vide avec sa main, (...) ex nihilo , à partir du trou. - il y a identité entre le façonnement du signifiant et l'introduction dans le réel d'une béance, d'un trou. - 147 - la science moderne, celle née de Galilée [et l'efficacité depuis de la saisie symbolique] n'avait pu se développer qu'à partir de l'idéologie biblique, judaïque - [de plus, avec la création] c'est bien ainsi qu'au cours des âges (...) est située l'articulation, la balance du problème moral [ETHIQUE]. - 150 - Il s'agit en effet de la Chose en tant qu'elle est définie par ceci qu'elle définit l'humain [homme "en fonction de médium entre le réel et le signifiant" p.155] - encore que justement, l'humain nous échappe. En ce point, ce que nous appelons l'humain ne serait pas défini autrement que de la façon dont j'ai défini tout à l'heure la Chose, à savoir ce qui du réel pâtit du signifiant. - Il s'agit du fait que l'homme façonne ce signifiant [par ex. le vase] et l'introduit dans le monde - autrement dit, de savoir ce qu'il fait en le façonnant à l'image de la Chose, alors que celle-ci se caractérise en ceci, qu'il nous est impossible de l'imaginer. C'est là que se situe le problème de la sublimation.

- 157 - Quant à l'incroyance [par ex. le discours de la science] (...) la Chose est rejetée au sens propre de la Verwerfung . - De même que dans l'ART il y a une Verdrangung , un refoulement de la Chose - que dans la religion il y a peut-être une Verschiebung - c'est à proprement parler de la Verwerfung qu'il s'agit dans le discours de la science. Le discours de la science rejette [forclusion] la présence de la Chose, pour autant que, dans sa perspective, se profile l'idéal du savoir absolu, cad de quelque chose qui pose tout de même la Chose tout en n'en faisant pas état. - Le discours de la science est déterminé par cette Verwerfung , et c'est probablement pourquoi - ce qui est rejeté du symbolique reparaissant, selon ma formule, dans le réel - il se trouve déboucher sur une perspective où c'est bien quelque chose d'aussi énigmatique que la Chose qui se profile, au terme de la physique [le nucléaire ?].

- 205 - [parole] je voudrais bien savoir en face de qui, en face de quoi, il était sur le Sinaï et sur l'Hreb. Mais enfin, faute d'avoir pu soutenir l'éclat de la face de celui qui a dit Je suis ce que je suis , nous nous contenterons de dire (...) que le buisson ardent, c'était la Chose de Moïse -

1962/63 - L'angoisse - 19/12/62 - le désir et la loi, ce qui paraît s'opposer dans un rapport d'antithèse, ne sont qu'une seule et même barrière pour nous barrer l'accès de la chose. - 26/06/63 - ce caractère d'être sans cause, mais non pas sans objet - non seulement elle [l'angoisse] n'est pas sans objet mais elle désigne très probablement l'objet, si je puis dire, le plus profond, l'objet dernier, la chose, c'est en ce sens (...) qu'elle est ce qui ne trompe pas.