Jouissance

1958/59 - Le désir et son interprétation - 10/06/59 - [masturbation] la jouissance masturbatoire n'est pas la solution du désir, elle en est l'écrasement, exactement comme l'enfant à la mamelle dans la satisfaction du nourrissage écrase la demande d'amour à l'endroit de la mère. - Et toute perspective à proprement parler hédoniste participe de cette position d'exclusion - [comme] Diogène le cynique affichait, au point de le faire en public à la manière d'un acte démonstratoire, et non pas exhibitionniste, que la solution du problème du désir était, si je puis dire, à la portée de la main de chacun, et il le démontrait brillamment en se masturbant.

1959/60 - L'éthique de la psychanalyse - - 207 - non seulement le meurtre du père n'ouvre pas la voie à la jouissance que la présence de celui-ci était censée interdire, mais il en renforce l'interdiction. - L'obstacle étant exterminé sous la forme du meurtre, la jouissance n'en reste pas moins interdite, et bien plus - 208 - tout ce qui est viré de la jouissance à l'interdiction va dans le sens d'un renforcement toujours croissant de l'interdiction. Quiconque s'applique à se soumettre à la loi MORALE voit toujours se renforcer les exigences toujours plus minutieuses, plus cruelles, de son surmoi. - [inversement, quiconque s'avance dans la voie de la jouissance sans frein (...) rencontre des obstacles - C'est au point que nous arrivons à la formule qu'une transgression est nécessaire pour accèder à cette jouissance, et que (...) c'est très précisément à cela que sert la LOI. - Si les voies vers la jouissance ont en elles-mêmes quelque chose qui s'amortit, qui tend à être impraticable, c'est l'interdiction qui lui sert, si je puis dire, de véhicule tout terrain, d'autochenille, pour sortir de ces boucles qui ramènent toujours l'homme, tournant en rond, vers l'ornière d'une satisfaction courte et piétinée. 235 - [sadisme] [Freud nous avertit] qu'il n'y a pas de commune mesure entre la satisfaction que donne une jouissance à son état premier et celle qu'elle donne dans les formes détournées, voire sublimées, dans lesquelles l'engage la civilisation. - 217 - [selon Freud] la jouissance est un mal. - elle est un mal parce qu'elle comporte le mal du prochain. - c'est ce que l'on appelle l'au-delà du principe du plaisir - 219 - [Il en est de même avec le commandement de l'amour du prochain, car] ce qui surgit, c'est cette méchanceté foncière qui habite en ce prochain [et en moi-même] - 229 - Je recule à aimer mon prochain comme moi-même, pour autant qu'à cet horizon il y a quelque chose qui participe de je en sais quelle intolérable cruauté. - 222 - [cf. l'historiette de Kant concernant] le personnage mis en posture d'être à la sortie exécuté, s'il veut aller trouver la dame qu'il désire illégalement - Là-dessus, Kant, le cher Kant dans toute son innocence, sa rouerie innocente, nous dit que (...) tout un chacun, tout homme de bon sens, dira non. Personne n'aura la folie, pour passer une nuit avec sa belle, de courir à une issue fatale, puisqu'il ne s'agit pas seulement d'une lutte, mais d'une exécution au gibet. Pour Kant, la question ne fait pas un pli. - Mais remarquez ceci - il suffit que, par un effort de conception, nous fassions passer la nuit avec la dame de la rubrique du plaisir à celle de la jouissance, en tant que la jouissance - nul besoin de sublimation pour cela - implique précisément l'acceptation de la mort [y compris d'autrui...], pour que l'exemple soit anéanti. Autrement dit, il suffit que la jouissance soit un mal pour que la chose change complètement de face, et que le sens de la loi morale soit dans l'occasion complètement changé. Tout un chacun s'apercevra en effet que, si la loi morale est susceptible de jouer ici quelque rôle, c'est précisément à servir d'appui à cette jouissance, à faire que le péché devienne ce que saint Paul appelle démesurément pécheur [? cannibalisme : surmoi/voix -> jouissance/bouche]. Voilà ce qu'en cette occasion Kant ignore simplement. - 237 - Quand on avance dans la direction de ce vide central [de cette jouissance première] (...) le corps du prochain se morcelle. Doctrinant la loi de la jouissance comme pouvant fonder je ne sais quel système de société idéalement utopique, Sade s'exprime ainsi (...) : Prêtez-moi la partie de votre corps qui peut me satisfaire, et jouissez, si cela vous plaît, de celle du mien qui peut veux être agréable. - 238 - dans l'énoncé de cette loi fondamentale [on trouve ] (...) la première manifestation articulée de ce à quoi nous nous sommes, comme psy, arrêtés sous le nom d'objet partiel. - 247 - [le jouissance] se présente comme enfouie dans un champ central, avec des caractères d'inaccessibilité, d'obscurité et d'opacité (...) peut-être pour autant que la jouissance se présente non purement et simplement comme la satisfaction d'un besoin, mais comme la satisfaction d'une pulsion [cad possession de l'objet, et non simple appréciation plaisante d'une qualité] - [La pulsion] n'est pas réductible à la complexité de la tendance (...) au sens de l'énergétique. Elle comporte une dimension historique - Cette dimension se marque à l'insistance avec laquelle elle se présente, en tant qu'elle se rapporte à quelque chose de mémorable parce que mémorisé [idée du retour]. C'est aussi là (...) qu'entre dans le registre de l'expérience, la destruction [de la Chose parce qu'inaccessible ? parce que sujette au signifiant ?] - 371 - Manger le livre [cf. st Paul], c'est bien là où nous touchons du doigt ce que veut dire Freud quand il parle de la sublimation comme d'un changement non d'objet, mais de but. - La faim dont il s'agit, la faim sublimée, tombe dans l'intervalle entre les deux, parce que ce n'est pas le livre que nous remplit l'estomac. Quand j'ai mangé le livre, je ne suis pas pour autant devenu livre, pas plus que le livre n'est devenu chair. Le livre me devient si je puis dire. Mais pour que cette opération puisse se produire (...) il faut bien que je paie quelque chose. - Sublimez tout ce que vous voudrez, il faut le payer avec quelque chose. Ce quelque chose s'appelle la jouissance. Cette opération mystique, je la paie avec une livre de chair. Voilà l'objet, le bien, que l'on paie pour la satisfaction du désir. - C'est là (...) que gît l'opération religieuse - Ce qui est sacrifié pour le bien du désir - (...) ce qui est perdu de désir pour le bien -, cette livre de chair, c'est justement ce que la religion se fait office et emploi de récupérer. C'est le seul trait commun à toutes les religions -

1961/62 - L'identification - 14/03.62 - que la visée de la jouissance subsiste et est en un certain sens réalisée dans toute activité de sublimation, qu'il n'y a pas de refoulement, qu'il n'y a pas effacement, qu'il n'y a même pas compromis avec la jouissance, qu'il y a paradoxe, qu'il y a détour, que c'est par les voies en apparence contraires à la jouissance que la jouissance est obtenue.

1960 - Subversion du sujet et dialectique du désir - 818 - [S(A barré)=] signifiant d'un manque dans l'Autre - 819 - [Conformément à la définition du signifiant] Ce signifiant sera donc le signifiant pour quoi tous les autre signifiants représentent le sujet : c'est dire que faute de ce signifiant, tous les autres ne représentent rien. - Or la batterie des signifiants, en tant qu'elle est, étant par là même complète, ce signifiant ne peut être qu'un trait qui se trace de son cercle sans pouvoir y être compté. Symbolisable par l'inhérence d'un (-1) à l'ensemble des signifiants. - C'est ce qui manque au sujet pour se penser épuisé par son cogito , à savoir ce qu'il est d'impensable. Mais d'où provient cet être qui apparaît en quelque sorte en défaut dans la mer des noms propres ? - cette place fait languir l'Etre lui-même. Elle s'appelle la jouissance, et c'est elle dont le défaut rendrait vain l'univers. - 820 - Cette jouissance dont le manque fait l'Autre inconsistant, est-elle donc la mienne ? L'expérience prouve qu'elle m'est ordinairement interdite - 821 - Ce à quoi il faut se tenir, c'est que la jouissance est interdite à qui parle comme tel, ou encore qu'elle ne puisse être dite qu'entre les lignes pour quiconque est sujet de la Loi, puisque la Loi se fonde de cette interdiction même. La Loi en effet commanderait-elle : Jouis, que le sujet ne pourrait y répondre que par un : J'ouïs, où la jouissance ne serait plus que sous-entendue. - 822 - C'est la seule indication de cette jouissance dans son infinitude qui comporte la marque de son interdiction, et pour constituer cette marque, implique un sacrifice : celui qui tient en un seul et même acte avec le choix de son symbole, le phallus. Ce choix a permis de ce que le phallus, soit l'image du pénis, destine le phallus à donner corps à la jouissance, dans la dialectique du désir. - C'est ainsi que l'organe érectile vient à symboliser la place de la jouissance, non pas en tant que lui-même, ni même en tant qu'image, mais en tant que partie manquante à l'image désirée. - 825 - disons que le pervers s'imagine être l'Autre pour assurer sa jouissance, et que c'est ce que révèle le névrosé en s'imaginant être un pervers : lui pour s'assurer de l'Autre. - 826 - Chez le névrosé, le (- phi) se glisse sous le S barré du fantasme, favorisant l'imagination qui lui est propre, celle du moi. Car la castration imaginaire, le névrosé l'a subie au départ, c'est elle qui soutient ce moi fort, qui est le sien, si fort, peut-on dire, que son nom propre l'importune, que le névrosé est au fond un Sans-Nom. Oui, ce moi que certains analystes choisissent de renforcer encore, c'est ce sous quoi le névrosé couvre la castration qu'il nie. Mais cette castration, contre cette apparence, il y tient. Ce que le névrosé ne veut pas, ce qu'il refuse avec acharnement jusqu'à la fin de l'analyse, c'est de sacrifier sa castration à la jouissance de l'Autre, en l'y laissant servir. Et bien sûr n'a-t-il pas tort, car encore qu'il se sente au fond ce qu'il y a de plus vain à exister, un Manque-à-être ou un En-Trop, pourquoi sacrifierait-il sa différence (tout mais pas ça) à la jouissance d'un Autre qui, ne l'oublions pas, n'existe pas. Oui, mais si par hasard il existait, il en jouirait. Et c'est cela que le névrosé ne veut pas. Car il se figure que l'Autre demande sa castration. - 827 - La castration veut dire qu'il faut que la jouissance soit refusée, pour qu'elle puisse être atteinte sur l'échelle renversée de la Loi du désir.

1960 - Propos directifs pour un Congrès sur la sexualité féminine - 735 - Bien loin que réponde en effet à ce désir la passivité de l'acte, la sexualité féminine apparaît comme l'effort d'une jouissance enveloppée dans sa propre contiguïté (dont peut-être toute circoncision indique-t-elle la rupture symbolique) pour se réaliser à l'envi du désir que la castration libère chez le mâle en lui donnant son signifiant dans le phallus. Est-ce alors ce privilège de signifiant que Freud vise en suggérant qu'il n'y a peut-être qu'une libido et qu'elle est marquée du signe mâle ?

1961/62 - L'identification - 04/04/62 - Si c'est le fait que la jouissance en tant que jouissance de la chose, est interdite en son accès fondamental (...), nous pouvons formuler que l'Autre (...), en tant que son support c'est le signifiant pur, le signifiant de la loi, que l'Autre se présente ici comme métaphore de cette interdiction. Dire que l'Autre c'est la loi ou que c'est la jouissance en tant qu'interdite, c'est la même chose. - le seul Autre réel, puisqu'il n'y a nul Autre de l'Autre, rien qui garantisse la vérité de la loi, le seul Autre réel étant ce dont on pourrait jouir sans la loi. Cette virtualité définit l'Autre comme lieu, la chose en somme élidée, réduite à son lieu.

1962/63 - L'angoisse - 27/02/63 - [le désir pervers] est en fait bel et bien le support d'une loi. S'il y a quelque chose que nous savons maintenant du pervers, c'est que ce qui apparaît du dehors comme satisfaction sans frein est défense, est bel et bien mise en jeu, en exercice d'une loi en tant qu'elle freine, qu'elle suspend, qu'elle arrête précisément sur ce chemin de la jouissance. La volonté de jouissance chez le pervers comme chez tout autre, est volonté qui échoue, qui rencontre sa propre limite, son propre freinage, dans l'exercice même comme tel du désir pervers. Pour tout dire, le pervers (...) ne sait pas au service de quelle jouissance s'exerce son activité. Ce n'est en tous les cas pas au service de la sienne. - - 13/03/63 - [objet] la jouissance ne connaîtra pas l'autre A, sinon par ce reste (a) [et donc par le sujet barré, dans le fantasme] - je pourrais suggérer que (a) vient à prendre une sorte de fonction de métaphore, du sujet de la jouissance - ça ne serait juste que si (a) est assimilable à un signifiant, et justement, c'est ce qui résiste à cette assimilation à la fonction du signifiant, c'est bien pour cela que (a) symbolise, ce que, dans la sphère du signifiant, est toujours ce qui se présente toujours comme perdu, comme ce qui se perd à la significantisation - 20/03/63 - Ce domaine, le domaine de la jouissance, c'est le point où (...) la femme s'avère supérieure - ce sont les femmes qui jouissent. - son lien au nœud du désir est beaucoup plus lâche. Ce manque, ce signe moins, dont est marqué la fonction phallique pour L'HOMME, qui fait que, pour lui, sa liaison à l'objet doit passer par cette négativation du phallus par le complexe de castration, cette nécessité qui est le statut du [moins phi] au centre du désir de l'homme, voilà ce qui, pour la femme, n'est pas un nœud nécessaire [puisque le phallus est "réellement" manquant]. - [ce rapport simplifié avec le désir de l'autre, c'est ce qui permet aux femmes analystes, dit Lacan, d'éviter les pièges du contre-transfert] - 19/06/63 - Le fait que le désir mâle rencontre sa propre chute, avant l'entrée dans la jouissance du partenaire féminin, et même, si l'on peut dire, que la jouissance de la femme "s'écrase" (...) dans la nostalgie phallique (...) est dès lors nécessité [pour elle] à n'aimer l'autre mâle qu'en un point situé au-delà de ce qui (...) l'arrête comme désir. [amour] - La jouissance de la femme est en elle-même et ne se conjoint pas à l'Autre. - 03/07/63 - je suis à jamais l'objet cessible (...) et cet objet est le principe qui me fait désirer, qui me fait le désirant d'un manque, qui n'est pas un manque du sujet, mais un défaut fait à la jouissance qui se situe au niveau de l'autre. C'est en cela que toute fonction du (a) ne se réfère qu'à cette béance centrale qui sépare, au niveau sexuel, le désir du lieu de la jouissance, qui nous condamne à cette nécessité qui veut que la jouissance ne soit pas de nature, pour nous, promise au désir, que le désir ne peut faire que d'aller à sa rencontre -