Langage

1936 - Au-delà du principe de réalité - 82 - [analyse] Le donné de cette expérience est d'abord du langage, un langage c'est-à-dire un signe. - le langage avant de signifier quelque chose, signifie pour quelqu'un. - 83 - Par le seul fait qu'il [l'analyste] est présent et qu'il écoute, cet homme qui parle s'adresse à lui, et puisqu'il impose à son discours de ne rien vouloir dire, il y reste ce que cet homme veut lui dire . - Il [l'analyste] y reconnaît alors une intention, parmi celles qui représentent une certaine tension du rapport social - Cette intention (...) est exprimée, mais incomprise du sujet, dans ce que le discours rapporte du vécu, et ceci aussi loin que le sujet assume l'anonymat moral de l'expression : c'est la forme du symbolisme ; [ou bien] elle est conçue, mais niée par le sujet, dans ce que le discours affirme du vécu, et ceci aussi loin que le sujet systématise sa conception : c'est la forme de la dénégation. Ainsi l'intention s'avère-t-elle, dans l'expérience, inconsciente en tant qu'exprimée, consciente en tant que réprimée. [suite à Image] -

1952/53 - L'Homme aux loups - Le langage n'est pas seulement un moyen de communication, quand un sujet parle, une part de ce qu'il dit a part de révélation pour un autre.

1953 - Discours du Congrès de Rome et réponse aux interventions - Et pour nous acheminer du pôle du mot à celui de la parole, je définirai le premier comme le point de concours du matériel le plus vide de sens dans le signifiant avec l'effet le plus réel du symbolique, place que tient le mot de passe, sous la double face du non-sens où la coutume le réduit, et de la trêve qu'il apporte à l'inimitié radicale de l'homme pour son semblable. Point zéro, sans doute, de l'ordre des choses, puisqu'aucune chose n'y apparaît encore, mais qui déjà contient tout ce que l'homme peut attendre de sa vertu, puisque celui qui a le mot évite la mort.

1953 - Le Symbolique, l'Imaginaire, le Réel - on ne peut pas nier que le mot de passe n'ait les vertus les plus précieuses ; il sert tout simplement à vous éviter d'être tué. - Né entre ces animaux féroces qu'ont dû être les hommes primitifs (à en juger d'après les hommes modernes, ce n'est pas invraisemblable), le mot de passe est justement ce à quoi non pas "se reconnaissent les hommes de groupe", mais "se constitue le groupe". - Dans ces deux exemples [le mot de passe, le mot d'amour], le langage est particulièrement dépourvu de signification. Vous voyez là le mieux ce qui distingue le symbole du signe, à savoir la fonction interhumaine du symbole. - [ce] n'est pas autre chose qu'une certaine façon de se faire reconnaître - [reconnaissance]

1953 - Fonction et champ de la parole… - 161 - Le troisième paradoxe de la relation du langage à la parole est celui du sujet qui perd son sens dans les objectivations du discours. - Car c'est là l'aliénation la plus profonde du sujet de la civilisation scientifique et c'est elle que nous rencontrons d'abord quand le sujet commence à nous parler de lui - 162 - Ici c'est un mur de langage qui s'oppose à la parole. - 163 - La ressemblance de cette situation [terme déjà péjoratif chez Lacan] avec l'aliénation de la folie (...) à savoir que le sujet y est parlé plutôt qu'il ne parle -

1953 - Fonction et champ de la parole… - 180 - le langage humain constituerait donc une communication où l'émetteur reçoit du récepteur son propre message sous une forme inversée (...) à savoir que la parole inclut toujours subjectivement sa réponse, que le "Tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais trouvé" ne fait qu'homologuer cette vérité, et que c'est la raison pourquoi dans le refus paranoïaque de la reconnaissance, c'est sous la forme d'une verbalisation négative que l'inavouable sentiment vient à surgir dans l'"interprétation" persécutive. - Finalement c'est à l'intersubjectivité du "nous" qu'il assume, que se mesure en un langage sa valeur de parole. - 181 - Car la fonction du langage n'y est pas d'informer, mais d'évoquer. Ce que je recherche dans la parole, c'est la réponse de l'autre. Ce qui me constitue comme sujet, c'est ma question. Pour me faire reconnaître de l'autre, je ne profère ce qui fut qu'en vue de ce qui sera. Pour le trouver, je l'appelle d'un nom qu'il doit assumer ou refuser pour me répondre. / Je m'identifie dans le langage, mais seulement à m'y perdre comme un objet. Ce qui se réalise dans mon histoire, n'est pas le passé défini de ce qui fut puisqu'il n'est plus, ni même le parfait de ce qui a été dans ce que je suis, mais le futur antérieur de ce qu'aurais été pour ce que je suis en train de devenir. - 182 - Si je presse sur un bouton électrique et que la lumière se fasse, il n'y a de réponse que pour mon désir. - Mais si j'appelle celui à qui je parle, par le nom quel qu'il soit que je lui donne, je lui intime la fonction subjective qu'il reprendra pour me répondre, même si c'est pour la répudier. / Dès lors apparaît la fonction décisive de ma propre réponse et qui n'est pas comme on le dit d'être reçue par le sujet comme approbation ou rejet de son discours, mais vraiment de le reconnaître ou de l'abolir comme sujet. Telle est la responsabilité de l'analyste chaque fois qu'il intervient par la parole. - la question de l'exactitude [de l'interprétation] passe au second plan. - 183 - La parole en effet est don de langage, et le langage n'est pas immatériel. Il est corps subtil, mais il est corps. Les mots sont pris dans toutes les images corporelles qui captivent le sujet ; ils peuvent engrosser l'hystérique [etc.] - 203 - le moment où le désir s'humanise est aussi celui où l'enfant naît au langage. - il y élève son désir à une puissance seconde. Car son action détruit l'objet qu'elle fait apparaître et disparaître [être/langage] dans la provocation anticipante de son absence et de sa présence. Elle négative ainsi le champ de force du désir pour devenir à elle-même son propre objet. - 204 - Fort! Da! - Ainsi le symbole se manifeste d'abord comme meurtre de la chose, et cette mort constitue dans le sujet l'éternisation de son désir.

1953/54 - Les écrits techniques de Freud - 250 - Toute discussion sur l'origine du langage est entaché d'une irrémédiable puérilité, et même d'un crétinisme certain. On essaie à chaque fois de faire sortir le langage de je ne sais quel progrès de la pensée. - Mais comment, s'il n'y a pas d'abord le symbole, qui est la structure même de la pensée humaine ? / Penser, c'est substituer aux éléphants le mot éléphant , et au soleil un rond. - Il ne vaut que pour autant que ce rond est mis en relation avec d'autres formalisations - Le symbole ne vaut que s'il s'organise dans un monde de symboles.

1955 - La Chose freudienne - 414 - Le premier réseau, du signifiant, est la structure synchronique du matériel du langage en tant que chaque élément y prend son emploi exact d'être différent des autres - Le second réseau, du signifié, est l'ensemble diachronique des discours concrètement prononcés, lequel réagit historiquement sur le premier [signifiant], de même que la structure de celui-ci commande les voies du second. Ici, ce qui domine, c'est l'unité de signification, laquellle s'avère ne jamais se résoudre en une pure indication du réel, mais toujours renvoyer à une autre signification. Cad que la signification ne se réalise qu'à partir d'une prise des choses qui est d'ensemble. - [Mais] Le signifiant seul garantit la cohérence théorique de l'ensemble comme ensemble. -

1955/56 - Les psychoses - 44 - Il faut parler au patient son langage. Sans doute ceux qui tiennent de tels propos doivent-ils être pardonnés comme tous ceux qui ne savent pas ce qu'ils disent. - signe d'un retour précipité, d'un repentir. On s'acquitte, on se met rapidement en règle, à ceci près qu'on ne révèle que sa condescendance - Marquer cette distance, faire du langage un pur et simple instrument, une façon de se faire comprendre [compréhension] de ceux qui ne comprennent rien, c'est éluder complètement ce dont il s'agit - la réalité de la parole. - 106 - Nous devons exiger, avant de porter le diagnostic de psychose, la présence de ces troubles [de l'ordre du langage].

1957 - L'instance de la lettre dans l'inconscient - 497 - à la dualité ethnographique de la nature et de la culture, est en passe de se substituer une conception ternaire - nature, société, culture - de la condition humaine, dont il se pourrait bien que le dernier terme se réduisît au langage -

1957 - Entretien (L'Express) - à partir du fait qu'il se brûle, il [l'enfant] est mis en face de quelque chose de beaucoup plus important que la découverte du chaud et du froid. En effet, qu'il se brûle et il se trouve toujours quelqu'un pour lui faire, là-dessus, tout un discours. L'enfant a beaucoup plus d'effort à faire pour entrer dans ce discours dont on le submerge, que pour s'habituer à éviter le poële. En d'autre termes, l'homme qui naît à l'existence a d'abord affaire au langage ; c'est une donnée.

1961/62 - L'identification - 29/11/61 - Ma chienne à mon sens et sans aucune ambiguïté, parle. Ma chienne a la parole sans aucun doute. Ceci est important, car cela ne veut pas dire qu'elle ait totalement le langage. - Je dis qu'elle parle, pour quoi ? Elle ne parle pas tout le temps, elle parle, contrairement à beaucoup d'humains, uniquement dans les besoins [?] où elle a besoin de parler. - il ne faut pas croire que tout soit centré sur le besoin, il y a une certaine relation sans doute avec cet élément de consommation, mais l'élément communicationnel du fait qu'elle consomme avec les autres y est aussi présent. - [seulement] contrairement à ce qui se passe chez l'homme en tant qu'il parle, elle ne me prend jamais pour un autre. - Le sujet-pur-parlant comme tel, c'est la naissance même de notre expérience, est amené (...) à vous prendre toujours pour un autre. - à vous prendre pour un autre, le sujet vous met au niveau de l'Autre avec un grand A. C'est justement cela qui manque à ma chienne : il n'y a pour elle que le petit autre. - manque à ma chienne cette sorte de possibilité (...) qui s'appelle la capacité de transfert - [et plus matériellement, manquent à la chienne les] effets de langue : il n'y a rien qui fasse un claquement par exemple, et encore bien moins qui fasse une occlusion ; il y a flottement, frémissement, souffle (...) mais il n'y a pas d'occlusion. - [c'est] justement ce qu'elle a de commun avec une activité parlante que vous connaissez bien et qui s'appelle le chant. S'il arrive si souvent que vous ne compreniez pas ce que jaspine la chanteuse, c'est justement parce qu'on ne peut pas chanter les occlusives.

1962/63 - L'angoisse - 08/05/63 - le sujet, dès qu'il parle, est déjà dans son corps, par cette parole impliquée. - il y a toujours dans le corps, et du fait même de cet engagement de la dialectique signifiante, quelque chose de séparé, quelque chose de statufié, quelque chose de, dès lors inerte, il y a la livre de chair. - c'est toujours de notre chair que nous devons solder la dette- [cf. les sources du sentiment anti-sémite] ce peuple en tant qu'il se présente, en tant qu'il subsiste de lui-même dans la fonction qu'à propos du (a), j'ai déjà articulé, d'un nom que j'ai appelé celle du reste - [quant à la solution chrétienne, elle se présente comme issue masochiste] dans ce rapport irréductible à l'objet de la coupure. Pour autant que le chrétien a appris, à travers la dialectique de la rédemption, à s'identifier idéalement à celui qui, un temps, s'est fait identique à cet objet même, au déchet laissé par la vengeance divine.

1964 - Position de l'inconscient - 835 - L'effet de langage, c'est la cause introduite dans le sujet. Par cet effet il n'est pas cause de lui-même, il porte en lui le ver de la cause qui le refend. Car sa cause, c'est le signifiant sans lequel il n'y aurait aucun sujet dans le réel. Mais ce sujet, c'est ce que le signifiant représente, et il ne saurait rien représenter que pour un autre signifiant: à quoi dès lors se réduit le sujet qui écoute. Le sujet donc, on ne lui parle pas. Ça parle de lui, et c'est là qu'il s'appréhende, et ce d'autant plus forcément qu'avant que du seul fait que ça s'adresse à lui, il disparaisse comme sujet sous le signifiant qu'il devient, il n'était absolument rien. Mais ce rien se soutient de son avènement, maintenant produit par l'appel fait dans l'Autre au deuxième signifiant. Effet de langage en ce qu'il naît de cette refente originelle, le sujet traduit une synchronie signifiante en cette primordiale pulsation temporelle qui est le fading constituant de son identification. C'est le premier mouvement. Mais au second, le désir faisant son lit de la coupure signifiante où s'effectue la métonymie, la diachronie (dite "histoire") qui s'est inscrite dans le fading, fait retour à la sorte de fixité que Freud décerne au vœu inconscient (dernière phrase de la Traumdeutung). Ce subornement second ne boucle pas seulement l'effet du premier en projetant la topologie du sujet dans l'instant du fantasme ; il le scelle, en refusant au désir qu'il se sache effet de parole, soit ce qu'il est de n'être autre que le désir de l'Autre.