Trait d’esprit

1953 - Fonction et champ de la parole… - 149 - Nulle part l'intention de l'individu n'est en effet plus manifestement dépassée par la trouvaille du sujet (...), puisque non seulement il faut que quelque chose m'ait été étranger dans ma trouvaille pour que j'y aie mon plaisir, mais il faut qu'il en reste ainsi pour qu'elle porte. Ceci prenant sa place de la nécessité (...) du tiers auditeur toujours supposé, et du fait que le mot d'esprit ne perd pas son pouvoir dans sa transmission au style indirect.

1957/58 - Les formations de l'inconscient

- 06/11/57 - il n'est pas dans le code. Tout est là. le message en principe est fait pour être dans un certain rapport de distinction avec le code, mais là c'est sur le plan du signifiant lui-même que manifestement il est en violation du code - Le message [du Witz] gît dans sa différence même d'avec le code. - Cette différence est sanctionnée par l'Autre. - il y a deux choses dans le livre de Freud sur le trait d'esprit : c'est la promotion de la technique signifiante, [et] la référence expresse à l'Autre comme tiers - le COMIQUE est la relation duelle, mais il faut qu'il y ait le tiers-Autre pour qu'il y ait le trait d'esprit - L'Autre renvoie la balle, cad range dans le code en tant que trait d'esprit, il dit dans le code que ceci est un trait d'esprit. -

- 13/11/57 - [cf. l'exemple de Freud : familionnaire avec millionnaire + familier, à la place de familier] il y a quelque chose qui est tombé, qui est éludé - [et] quelque chose est resté - [ce qui est refoulé, comme le "Signor" de Freud, va se mettre à tourner en rond entre le code et le message] - quelque chose s'est produit qui a comprimé, embouti l'un dans l'autre, le familier et le millionnaire - Il y a donc là quelque chose qui est une sorte de cas particulier de la fonction de substitution, cas particulier dont il reste en quelque sorte des traces. La condensation (...) est une forme particulière de ce qui peut se produire au niveau de la fonction de substitution. - [A la formation du mot d'esprit, il y a un endroit et un envers, métaphore et métonymie. Pour pouvoir reconnaître une métaphore, il faut considérer deux choses : 1) le centre du phénomène, à savoir ce qui s'est produit au niveau de la création signifiante, 2) son essence qui est la sanction donnée par l'Autre à cette création elle-même.] - C'est en cela qu'est la distinction du trait d'esprit par rapport à ce qui est pur et simple phénomène, relation de symptôme par exemple, c'est dans le passage à la fonction seconde [cette sanction de l'Autre] que gît le trait d'esprit lui-même. - [Dans le cad de "familionnaire", la métaphore, le trait d'esprit dont réussis. Il n'empêche qu'il reste un résidu, disons le déchet même de la création métaphorique, savoir ce qui se ballade quelque part entre code et message, le mot "familier" bien sûr.] - 13/11/57 - [Signorelli...] cet oubli n'est pas un oubli absolu, un trou, une béance, c'est qu'il se présente autre chose à la place, d'autres noms - ce qu'on peut appeler une approximation métonymique. - une formation [non de substitution](...) mais de combinaison. - Bosnie, Herzegovine, sont les ruines métonymiques de l'objet dont il s'agit qui est derrière les différents éléments particuliers qui sont venus jouer là, et dans un passé immédiat qui est derrière cela, le "herr" absolu, la mort. - [refoulement du signifiant "herr", via le refoulement de "signor", qui lui est substituable] - mais cela ne veut pas dire que la substitution soit la métaphore. - cela veut dire que la substitution est une possibilité d'articulation du signifiant [qui, en tant qu'opération, sert aussi à la métonymie], et que la métaphore s'y exerce avec sa fonction de création de signifié - [En l'occurrence, de "herr" à "signor"] cette substitution hétéronyme n'est pas une métaphore [mais une métonymie] - [mais par rapport à "Signorelli", cad son contexte propre, qui est cette spéculation autour de la mort, "Signor" représente bien une métaphore qui va servir à apprivoiser le signifiant refoulé "herr"] - [ce signifiant refoulé] est renvoyé comme une balle entre le code et le message - il tourne en rond - pour constituer une mémoire [élémentaire, inconsciente, machinique, dans la chaîne signifiante] - [par contre il est unterdruck au niveau du discours] - et ce que vous retrouvez, ce qui vous permet de vous remettre sur les traces du signifiant perdu, ce sont les restes métonymiques de l'objet. - 13/11/57 - une fonction signifiante qui lui est propre en tant que signifiant échappant au code - Il y a là quelque chose de nouveau qui apparaît, qui peut être noué au ressort même de ce qu'on peut appeler le progrès de la langue, son changement. - 13/11/57 - "...vivre maritablement [maritalement + misérablement] - Vous voyez là à quel point le message dépasse, non pas celui que j'appellerais le messager, car c'est vraiment le messager des dieux qui parle par la bouche de cet innocent, mais dépasse le support de la parole [attendu que le patient de Lacan n'a pas fait un mot d'esprit volontaire] - Il n'en reste pas moins que mis à sa place, justement dans l'Autre, c'est un mot d'esprit particulièrement sensationnel et brillant. - cela peut-être un mot d'esprit, cela peut être un lapsus, je dirais même plus : cela peut être purement et simplement une sottise, une naïveté linguistique [cf. mots d'enfants]

- 20/11/57 - [il faut prêter attention à ces restes surtout évidemment lorsque la création métaphorique n'est pas réussie, comme c'est le cas pour l'oubli d'un nom, que rien ne vient sauver, remplacer vraiment. [bien que l'on puisse parler d'une tentative de création métaphorique, création appelée par Freud] - [Pas confondre : c'est Signorelli qui est oublié, c'est Signor qui est refoulé en tant que] déchet signifiant refoulé de quelque chose [de subjectif] qui se passe à la place où l'on ne retrouve pas Signorelli. - [et ce qui se passe réellement], ce dont il s'agit, ce n'est pas d'une perte du nom de Signorelli, c'est d'un X que je vous introduis ici (...) ; cet X c'est cet appel de la création significative - [c'est le désir qui est ici en jeu] - oublier un nom, ce n'est pas simplement une négation, c'est un manque, mais un manque (...) de ce nom. Ce n'est pas parce que ce nom n'est pas attrapé que c'est le manque, [c'est ce nom qui est un manque, en tant qu'à la place où ce nom devrait exercer sa fonction,](...) un nouveau sens est requis, qui exige une nouvelle création métaphorique. - 20/11/57 - Le sens qui est à créer est justement ceci qui se situe quelque part en suspens entre le moi et l'Autre. C'est une indication qu'il y a quelque chose qui au moins pour l'instant laisse à désirer.

- 27/11/57 - [le mot d'esprit n'est tout de même pas identique à la métaphore] [dans l'ex. donné par Lacan du "veau d'or", l'esprit consiste au contraire] à subvertir toutes les références où ce veau d'or est son expression métaphorique - c'est à deux dimensions différentes de quelque chose (...) que l'expérience du trait d'esprit se réfère - quelque chose qui paraît escamotage, tour de passe-passe, faute de pensée, c'est le trait commun [du trait d'esprit] -

- 04/12/57 - [plaisir] la façon dont il frappe d'abord par le non-sens, dont d'autre part il nous attache et nous récompense par l'apparition de je ne sais quel sens secret - la dimension de la surprise est elle-même consubstantielle à ce qu'il en est du désir, pour autant qu'il est passé au niveau de l'inconscient - [ici réside toute l'ambiguïté du mot d'esprit] - c'est à ciel ouvert que se produit cette balle renvoyée entre message et autre [=code] - L'objet du mot d'esprit est de nous réévoquer cette dimension par laquelle le désir sinon rattrape, du moins indique tout ce qu'il a perdu en cours de route dans ce chemin, à savoir ce qu'il a laissé au niveau de la chaîne métonymique d'une part, de déchets, et d'autre part ce qu'il ne réalise pas pleinement au niveau de la métaphore [en quoi consiste en quelque sorte le fait d'obtenir satisfaction à sa demande ; le plaisir du mot d'esprit consiste alors à reprendre, de réévoquer, à l'aide du signifiant, de la création verbale, cette mythique satisfaction.] - 04/12/57 - ce n'est pas à dire que ce soit le non-sens [mais plutôt à cause d'une perte de sens liée à l'assomption de la valeur, disons plutôt] (...) le peu de sens. - à la fois réussite, échec, mais forme nécessaire de toute formulation de la demande, et qui [parce qu'il] vient interroger l'autre à propos de ce peu de sens - [Le trait d'esprit comme "demande de sens" à l'autre? - Autre.] Nous éprouvons le besoin de le proposer à l'autre - Le trait d'esprit ne s'achève qu'au-delà de ceci, cas pour autant que l'autre accuse le coup, répond au trait d'esprit, l'authentifie comme trait d'esprit, cad perçoit ce que dans ce véhicule comme tel de la question sur le peu de sens, ce qu'il y a de demande de sens, cad d'évocation d'un sens au-delà - [dans le schéma] l'autre répond à cela (...) sur le circuit supérieur, celui qui va de A au message [mais en passant "par le haut"] - Je vous propose la formule de pas-de-sens - comme dit le pas-de-vis, le pas-de-quatre, (...) le Pas-de-Calais. -

- 11/12/57 - à l'abris du trait d'esprit quelque chose s'est satisfait, qui est cette tendance agressive du sujet qui ne se manifesterait pas autrement. Il ne serait pas permis de parler (...) grossièrement d'un confrère en littérature [par ex., sinon par un trait d'esprit, piquant ou méchant] - 11/12/57 - C'est de toutes les implications métaphoriques qui sont en quelque sorte d'ores et déjà empilées et comprimées dans le langage, qu'il s'agit - à l'état non actif, latent - C'est cela qui va être recherché, c'est cela que j'invoque dans le trait d'esprit, que je cherche à éveiller dans l'Autre, dont je confie en quelque sorte à l'Autre le support, et pour tout dire je ne m'adresse à lui que pour autant que ce que je fais entrer en jeu ans mon trait d'esprit, est quelque chose que je suppose déjà reposer en lui. - 11/12/57 - [être] ce "je pense donc je suis", il est difficile de la saisir à la pointe de son ressort, et il n'est peut-être d'ailleurs qu'un trait d'esprit. Le cogito cartésien est effectivement expérimenté dans la conscience de chacun de nous, non pas comme un "je pense donc je suis", mais comme un "je suis comme je pense" [métaphore et/ou métonymie, comme dans le mot d'esprit], et bien entendu ceci suppose derrière un "je pense comme je respire", naturellement. - 11/12/57 - [Le sens, le pas-de-sens] ce qu'il a de toujours métaphorique, d'allusif (...), ce en quoi le besoin à partir du moment où il est passé par la dialectique de la demande introduite par l'existence du signifiant, ce besoin n'est en quelque sorte jamais rejoint. C'est par une série de pas semblables à ceux par lesquels Achille ne rejoint jamais la tortue, que tout ce qui est du langage procède et tend à recréer ce sens plein, ce sens ailleurs, ce sens pourtant jamais atteint. - [Par ailleurs il représente bien quand même une sorte de "décharge", une libération:] ce pas-de-sens dans l'occasion est dans le sens d'une réduction de la valeur [signification, ici], d'une désexorcisation de quelque chose de fascinant [d'inhibant ; cf. l'histoire de Queneau avec le cheval] - d'habitude le trait d'esprit est là ambiant dans tout ce que je suis en train de raconter dès lors que je parle, et je parle forcément dans le double registre de la métonymie et de la métaphore. Ce peu-de-sens [métonymie?] et ce pas-de-sens [métaphore?] sont tout le temps en train de s'entrecroiser -11/12/57 - [dans le mot d'esprit] le sujet est bien là celui qui parle - [mais à la condition] d'en faire l'épreuve sur l'autre - cet Autre qui est en quelque sorte le corrélatif du sujet.

- 18/12/57 - J'ai insisté (...) sur le procédé d'immobilisation de l'autre (...) la façade du mot d'esprit, ce quelque chose qui détourne en que sorte l'attention de l'autre du chemin par où va passer le mot d'esprit, ce quelque chose qui en somme fixe l'inhibition quelque part, précisément pour laisser libre ailleurs le chemin par où va passer la parole spirituelle. [adressée à l'Autre, cette fois] -