Perversion

1953/54 - Les écrits techniques de Freud - 239 - Il n'y a pas une seule forme de manifestation perverse dont la structure même (...) ne se soutienne de la relation intersubjective [exit la notion de frustration]. - 240 - Une chose est certaine - la relation sadique ne se soutient que pour autant que l'autre est juste à la limite où il reste encore un sujet. S'il n'est plus rien qu'une chair qui réagit, forme de mollusque dont on titille les bords et qui palpite, il n'y a plus de relation sadique. - Vous savez combien la plus grande part de la somme clinique que nous connaissons comme perversions reste sur le plan d'une exécution seulement ludique. Nous n'avons pas ici affaire à des sujets soumis à un besoin. - 242 - il nous faut partir d'une intersubjectivité radicale - C'est rétrospectivement (...) à partir de l'expérience adulte que nous devons aborder les expériences originelles supposées [pré-génitales par exemple], en étageant les dégradations - 243 - [Ex.] Ce n'est pas seulement que je vois l'autre, je le vois me voir, ce qui implique le troisième terme, à savoir qu'il sait que je le vois. - La perversion est en somme l'exploration privilégiée d'une possibilité existentielle [cf. Sartre et sa description du regard] de la nature humaine - son déchirement interne, sa béance, par où a pu entrer le monde supra-naturel du symbolique. - 246 - Structurellement la perversion (...) ne peut se soutenir que dans un statut précaire qui, à chaque instant, de l'intérieur, est contesté pour le sujet. Elle est toujours fragile, à la merci d'un renversement, d'une subversion, qui fait penser à ce changement de signe qu'on opère dans certaines fonctions mathématiques - La perversion est une expérience qui permet d'approfondir ce qu'on peut appeler au sens plein la passion humaine, pour employer le terme spinozien, cad ce en quoi l'homme est ouvert à cette division d'avec lui-même qui structure l'imaginaire - Elle est approfondissante, en effet, en ceci que dans cette béance du désir humain apparaissent toutes les nuances, s'étageant de la honte au prestige, de la bouffonnerie à l'héroïsme, par quoi le désir humain est tout entier exposé, au sens le plus profond du terme, au désir de l'autre. - 247 - La relation intersubjective qui sous-tend le désir pervers ne se soutient que de l'anéantissement, ou bien du désir de l'autre, ou bien du désir du sujet. - cette relation dissout l'être du sujet. L'autre sujet se résoud à n'être qu'un instrument du premier, qui reste donc le seul sujet comme tel, mais celui-ci même se réduit à n'être qu'une idole offerte au désir de l'autre. / Le désir pervers se supporte de l'idéal d'un objet inanimé. Mais il ne peut pas se contenter de la réalisation de cet idéal. Dès qu'il le réalise, au moment même où il le rejoint, il perd son objet. - soit le désir s'éteint, soit l'objet disparaît.

1956/57 - La relation d'objet (résumé Par Pontalis) - La jeune fille [homosexuelle] démontrait (...) par le style de son amour envers la dame, qu'on peut aimer quelqu'un pour ce qu'il n'a pas. Elle faisait entendre quelque chose en parlant de quelque chose d'autre, ce qui définit la métonymie. - Dans le cas Dora (...) Mme K. est la métaphore de Dora, car Dora ne sait où se situer - Sous tous ses symptômes, court la question: qu'est-ce qu'être une femme ? - On oppose souvent névrose et perversion en ceci que ce qui est caché dans l'ics quant il s'agit de névrose serait à ciel ouvert dans la perversion. Ce n'est pas cela. [puisque l'objet métonymique dans la perversion n'est pas davantage le "bon" ; lequel est absent, le vide de "ce qu'elle n'a pas"]

1957 - Dialogue avec les philosophes français - 10 - A la différence du pervers, étreignant le lambeau que la parole lui a permis d'arracher au voile de Maïa, pour en faire l'objet de sa satisfaction, le névrosé est la question articulée sur l'au-delà du voile.

1957/58 - Les formations de l'inconscient - 27/11/57 - la chaîne métonymique (...) est l'essence de toute espèce de déplacement fétichiste du désir, autrement dit de fixation du désir quelque part avant, après ou à côté, de toutes façons à la porte de son objet naturel - 16/04/58 - [C'est seulement dans le rêve que Freud nous parle de satisfaction du désir.] - ce caractère qui est inhérent au désir en tant que désir pervers, qui est d'être une sorte de désir au second degré de jouissance du désir en tant que désir [cad non pas satisfaction du désir, mais jouissance au désir]

1958 - La direction de la cure... - 610 - distinguer l'objet phobique en tant que signifiant à tout faire pour suppléer au manque de l'Autre, et le fétiche fondamental de toute perversion en tant qu'objet aperçu dans la coupure du signifiant.

1958/59 - Le désir et son interprétation - 03/06/59 - C'est là d'ailleurs la nécessité du lieu public : c'est qu'on soit bien sûr qu'on soit dans le cadre du symbolique. [exhibitionnisme]. - il arrive que les petites filles, surtout si elles sont plusieurs, s'amusent beaucoup pendant ce temps là. Cela fait même partie du plaisir de l'exhibitionniste. C'est une variante. Le désir de l'autre est donc là comme élément essentiel en tant qu'il est surpris, qu'il est intéressé au-delà de la pudeur, qu'il est à l'occasion complice. - [L'exh.] ce qu'il montre est plus ou moins glorieux ; mais ce qu'il montre est une redondance qui cache, plutôt qu'elle ne dévoile ce dont il s'agit. - [ce dont il s'agit] est essentiellement constitué par ceci que j'ai souligné de l'aperçu dans l'inaperçu, que j'ai appelé tout crûment un pantalon qui s'ouvre et se ferme, et pour tout dire ce que nous pouvons appeler la fente dans le désir. - Et il n'y a pas d'érection si réussie qu'on la suppose, qui supplée à ce qui est l'élément essentiel dans la structure de la situation, à savoir cette fente comme telle [fentasme !]. C'est là aussi où le sujet comme tel se désigne. - [voyeurisme] pour le voyeur cette fente se trouve être un élément de la structure absolument indispensable. - l'important est que ce qui est vu soit intéressé dans l'affaire. Ceci fait partie du fantasme. - quelque chose dans l'objet s'y prête à cette fonction de spectacle (...), y est ouvert, (...) participe en puissance [involontairement] à cette dimension de l'indiscrétion - La créature surprise sera d'autant plus érotisable dirai-je, que quelque chose dans ses gestes peut nous la révéler comme s'offrant à ce que j'appellerai les hôtes invisibles de l'air. [!!] - dans les deux cas, le sujet se réduit lui-même à l'artifice de la fente comme tel. - en tant qu'il est dans le fantasme il est la fente. - quelque chose dans le réel à la fois trou et éclair - il ne réalise pas la fonction de la coupure qui l'abolit dans un automatisme clandestin - Il ne connaît lui que cette manœuvre d'animal honteux, cette manoeuvre oblique (...) qui l'expose aux horizons. Pourtant cette fente, (...) volet ou télescope, ou n'importe quel écran, cette fente c'est là ce qui le fait entrer dans le désir de l'autre. - ici le "a" est [véritablement, par delà les objets partiels] le désir de l'autre - [si la névrose est désir , mais suspendu comme tel, du désir de l'autre, la perversion est jouissance (arrêtée comme telle) au désir de l'autre ?] - La solution perverse à ce problème de la situation du sujet dans le fantasme est justement celle-ci : c'est de viser le désir de l'autre et de croire y voir un objet. - 17/06/59 - s'il y a moins de perversion chez les femmes que chez les hommes, c'est qu'elles satisfont en général leur ardeur perverse avec leurs enfants - 24/06/59 - Pour le pervers [a lieu] la conjonction, (...) qui unit en un seul terme le il l'est et il l'a. Il suffit pour cela que cet il l'a soit en l'occasion un elle l'a, c'est-à-dire l'objet de l'identification primitive [la mère]. - Il est le phallus, en tant qu'objet interne de la mère, et il l'a dans son objet de désir.

1962/63 - L'angoisse - 16/01/63 - ce qui caractérise le désir sadique est proprement qu'il ne sait pas que dans l'accomplissement de son acte, de son rite (...), ce qu'il cherche, c'est (...) à se réaliser lui-même comme pur objet, fétiche noir. - Toute différente est (...) la position du masochiste pour qui cette incarnation de lui-même comme objet est le but déclaré - ce que le masochiste entend faire apparaître (...) c'est quelque chose où le désir de l'Autre fait la loi. - L'angoisse - 27/02/63 - [le désir pervers] est en fait bel et bien le support d'une loi. S'il y a quelque chose que nous savons maintenant du pervers, c'est que ce qui apparaît du dehors comme satisfaction sans frein est défense, est bel et bien mise en jeu, en exercice d'une loi en tant qu'elle freine, qu'elle suspend, qu'elle arrête précisément sur ce chemin de la jouissance. La volonté de jouissance chez le pervers comme chez tout autre, est volonté qui échoue, qui rencontre sa propre limite, son propre freinage, dans l'exercice même comme tel du désir pervers. Pour tout dire, le pervers (...) ne sait pas au service de quelle jouissance s'exerce son activité. Ce n'est en tous les cas pas au service de la sienne.

1964 - Les quatre concepts… - 165 - Je souligne que la pulsion n'est pas la perversion. [pour la pulsion, Freud] veut nous donner une structure radicale dans laquelle le sujet n'est point encore placé. Au contraire, ce qui définit la perversion, c'est justement la façon dont le sujet s'y place. - 166 - Qu'est-ce qui se passe dans le voyeurisme ? où est le sujet, où est l'objet ? - le sujet n'est pas là en tant qu'il s'agit de voir (...), il ne se situe qu'à l'aboutissement de la boucle. Quant à l'objet (...) la boucle tourne autour de lui - L'objet est ici regard - regard qui est le sujet, qui l'attend [puisque le sujet pervers se positionne en objet] - C'est que l'autre le surprend, lui, le sujet, comme tout entier regard caché. - Le regard est cet objet perdu, et soudain retrouvé, dans la conflagration de la honte, par l'introduction de l'autre. - qu'est-ce que le sujet cherche à voir ? - c'est l'objet en tant qu'absence. - ce n'est pas, comme on dit, le phallus - mais justement son absence - Ce qu'on regarde, c'est ce qui ne peut pas se voir. Si, grâce à l'introduction de l'autre, la structure de la pulsion apparaît, elle ne se complète vraiment que dans sa forme renversée, dans sa forme de retour, qui est la vraie pulsion active [= subjective] - au départ de la pulsion sado-masochiste, le douleur n'est pour rien - il s'agit d'une violence faite (...) à des fins de maîtrise, à lui-même. - 167 - [Quand alors seulement voyons nous s'introduire la possibilité de la douleur ?] - au moment où la boucle s'est refermée, où c'est d'un pôle à l'autre qu'il y a eu réversion, où l'autre est entré en jeu, où le sujet s'est pris pour terme, terminus de la pulsion. A ce moment là, la douleur entre en jeu en tant que le sujet l'éprouve de l'autre [sinon elle n'a aucun intérêt !] - Ce dont il s'agit [par l'autre] dans la pulsion se révèle enfin ici - le chemin de la pulsion est la seule forme de transgression qui soit permise au sujet par rapport au principe du plaisir. - C'est pour autant que la pulsion témoigne du forçage du principe du plaisir qu'il nous est témoigné qu'au-delà du Real-Ich, une autre réalité intervient - Que le sujet n'ait de rapport constructif avec ce réel que dans la dépendance étroite du principe du plaisir, du principe du plaisir non forcé par la pulsion, c'est là (...) le point d'émergence de l'objet d'amour - Toute la question est de savoir (...) sur quelles équivoques repose la possibilité pour l'objet d'amour de devenir objet de désir. - 168 - [La structure de la perversion] C'est à proprement parler un effet du fantasme. c'est le sujet qui se détermine lui-même comme objet, dans sa rencontre avec la division de la subjectivité.